historique | geschiedenis

De eerste ideeën voor het project L'Espoir ontstonden in 2003, het gebouw werd ingehuldigd in 2010.
In het uitgebreide artikel "Passieve woningen, actieve bewoners" leest u het volledige verhaal. Het verscheen in Opbouwwerk Brussel en kan hier ook gedownload worden.
Ter gelegenheid van de inhuldiging verscheen een kleurrijke brochure waarin het project in een paar sleutelwoorden wordt uitgelegd. U kan ze hier downloaden.

Les premieres idées pour le projet datent de 2003. Le bâtiment a été inauguré en 2010. Ci-dessous, vous pouvez lire un article, retracant l'histoir de l'Espoir, écrit quelques mois après l'inauguration.

Le Projet L'Espoir à la Rue Fin à Molenbeek
Geert De Pauw, mars 2011

Ces dernières années, la rue Fin à Molenbeek a vu la réalisation d’un projet d’habitation innovateur à plus d’un titre. Le type de collaboration à la base du projet, le choix de construire des habitations en propriété pour des familles à faibles revenus, le choix d’un mode de construction écologique, ainsi que la participation des habitants à la réalisation du projet étaient complètement nouveaux. Les logements sont habitées depuis le mois de juin 2010. Depuis, le projet a attiré pas mal d’attention, ce que nous visions d’ailleurs. Par le biais de ce projet pilote, nous cherchions à contribuer à la réflexion sur le logement social dans le Bruxelles d’aujourd’hui. Dans notre article nous décrivons, du point de vue de la Maison de Quartier Bonnevie, comment le projet a vu le jour et quelles leçons nous pouvons en tirer.

Depuis l’an 2000 les prix des logements à Bruxelles ont plus que doublé.[1] La population s’accroît et s’appauvrit. Cela génère une plus forte demande de logements sociaux alors que l’offre d’habitations abordables augmente à peine et ce, malgré les nombreuses promesses politiques.
Les chiffres mentionnés dans les notes en bas de page en disent long. C’est par contre seulement dans les petits appartements surpeuplés, insalubres et bien trop chers des quartiers bruxellois que l’ampleur réelle de cette crise du logement se fait vraiment ressentir, tout comme dans les salles d’attentes combles des services sociaux où les travailleurs sociaux doivent prêter l’oreille à la misère de leurs clients sans, généralement, pouvoir y faire quoi que ce soit.

C'est en partant de ce besoin des familles pauvres et de cette impuissance de la part des organisations travaillant avec elles, qu'est né le projet L’Espoir, à la rue Fin à Molenbeek. Si le droit à l’habitat reste lettre morte, nous le réaliserons nous-mêmes, s’il n’y a pas de logements, nous les bâtirons... voilà l’idée toute simple qui est à la base de notre projet.
Autour de cette idée, deux associations, une entreprise de construction et de crédit social, quatorze familles et un architecte passionné ont pu s’entendre. Grâce à ce type particulier de collaboration, nous avons quitté les sentiers battus et nous avons osé chercher des solutions innovatrices. Voilà comment le projet de la rue Fin a finalement donné bien plus que ce qui était projeté au départ, à savoir la création d’habitations abordables pour quatorze familles à revenus modestes. Grâce à cette collaboration, le projet s’est bien vite transformé en laboratoire d’innovation en matière de logement social et a chamboulé le concept existant du logement social. La participation des habitants à la réalisation du projet et l’architecture durable sont remarquables. En outre, le projet est aussi à la base d’une réflexion sur de nouvelles voies en vue de réaliser le droit à l’habitat, se situant quelque part entre l’habitation sociale en location classique et l’aide à l’acquisition de propriété.

1. Du terrain vague au bâtiment exemplaire, cinq années en quête de solutions

1.1.            Les organisations à la recherche de solutions à la crise du logement

La Maison de Quartier Bonnevie, active depuis trente ans dans le centre centre de Molenbeek-Saint-Jean, a développé au début des années nonante des activités en vue d’améliorer les conditions de logement des habitants du quartier. Actuellement, ces activités comprennent notamment une permanence sociale pour les locataires, un conseil en rénovation auquel  les propriétaires désirant rénover leur maison peuvent s'adresser, et des actions visant à démontrer et à combattre les origines structurelles et politiques des problèmes. Notre public reflète la population du quartier où nous déployons nos activités: il s’agit généralement de personnes à faibles revenus, dont la majorité est constituée de migrants de la première ou de la deuxième génération. Ce public-là est le plus fortement touché par la crise du logement sévissant depuis le début de ce 21ème à Bruxelles. La situation est encore plus grave pour les  familles nombreuses, dans la mesure où il y a très peu de grands appartements appropriés, ni sur le marché privé, ni dans le secteur du logement social. Les réfugiés et les familles issues de l'immigration, sont également victimes de la discrimination sur le marché de la location, de sorte qu’il faut qu’il se produise un miracle pour que ces personnes trouvent un logement décent à Bruxelles.
Jusqu’il y a une dizaine d’années, ces familles trouvaient une solution en achetant un logement dans les rues les moins chères des anciens quartiers ouvriers autour du centre-ville. A l’heure actuelle, ces logements sont devenus impayables, même pour les familles ayant des  revenus considérés comme suffisants. Début 2003, notre Maison de Quartier a démarré une enquête à Molenbeek concernant la possibilité de créer nous-mêmes, ensemble avec des familles mal logées, des habitations appropriées.

Le Fonds du Logement de la Région de Bruxelles-Capitale est subventionné par la Région Bruxelloise afin d’aider les familles à revenus modestes à trouver un logement A cet effet, ils proposent des prêts avantageux pour l’achat d'un logement, ils louent des logements, ils en  construisent et en vendent. Une grande partie du public qui fait appel au Fonds du Logement correspond à celui de la Maison de Quartier Bonnevie. C’est pourquoi les deux organisations travaillent régulièrement ensemble sur des dossiers de rénovation à Molenbeek.
Durant de longues années, le Fonds a constitué la meilleure solution pour les familles nombreuses de la Région à la recherche d’ un logement abordable. Les prêts sociaux leur permettaient de chercher eux-mêmes le logement qui convenait et de le rénover ensuite. Le Fonds du Logement s’est rendu compte vers 2003 qu’il devenait de plus en plus difficile d’aider ce public de familles nombreuses pauvres. Les logements que construisait le Fonds, à la demande de la Région, et qu’il vendait au prix de revient, étaient devenues impayables pour ce public.

CIRé (Coordination et Initiatives pour Réfugiés et étrangers) est une structure de coordination qui regroupe vingt-quatre associations, allant des services sociaux qui aident les demandeurs d’asile jusqu’aux syndicats et organisations internationales. L’objectif est de réfléchir et de travailler ensemble aux problèmes relatifs aux demandeurs d’asile, aux réfugiés et aux étrangers. Au sein du CIRÉ, un service  logement est également actif. Le public de ce service est constitué de primo-arrivants, ayant en général de très faibles revenus, et très souvent il s’agit de familles nombreuses. Un public pour qui il est donc quasi impossible de trouver une habitation en location appropriée sur le marché privé. Un public qui, en outre, doit disposer d’une fameuse dose de patience s’il espère trouver un logement social. Pour ces familles-là, il n’est pas exceptionnel de devoir attendre dix ans. Comme il y a, à Bruxelles, plus de maisons unifamiliales à vendre qu’à louer, et comme la discrimination joue moins sur le marché de la vente que sur le marché de la location, le CIRÉ a instauré un programme d’aide à l’acquisition d’un logement en étroite collaboration avec le Fonds du Logement. Fort de cette expérience, le CIRÉ a démarré un projet innovateur, la fondation de groupes d’épargne solidaire. Ces groupes d’épargne aident à éluder une étape importante lors de l’achat d’un logement à savoir le paiement de l’acompte au vendeur. Du fait de prix de vente sans cesse croissants , ce système a petit à petit rencontré ses propres limites. C’est pourquoi le CIRÉ est allé à la recherche d'autres solutions.

Avant de fonder les groupes d’épargne solidaire, le CIRÉ s’est inspiré d’une pratique largement répandue en Afrique ainsi que dans d’autres parties du monde. Des groupes d’une vingtaine de personnes cotisent tous les mois au pot commun. A tour de rôle, une seule famille peut disposer de la mise totale. Cela lui permet de financer des dépenses importantes comme une fête de mariage ou un achat important. Le CIRÉ a adapté cette formule à ces besoins afin d’aider les familles qui ne disposent pas d’épargne à acheter une habitation. Dans certains cas, en effet, le Fonds du Logement Bruxellois peut prêter aux candidats-acheteurs le montant total nécessaire à l’achat d’une habitation. Il ne s’agit donc pas seulement du prix total d’achat mais également des frais de notaire et des éventuels frais de rénovation. Qui achète un logement doit cependant, en général, payer un acompte  avant que le prêt ne soit conclu. Par le biais des groupes d’épargne solidaire, un capital est constitué dont les membres peuvent faire usage afin de constituer la somme requise pour cet acompte. Dès que le prêt hypothécaire est accordé par le Fonds du Logement, cette somme est reversée dans le pot commun. Ultérieurement, une autre famille pourra en faire usage. L’assemblée générale du groupe d’épargne se réunit régulièrement, les membres échangent des nouvelles et s’entraident et ainsi, se motivent mutuellement. On prévoit aussi à chaque fois un moment de formation sur l’un ou l’autre aspect relatif à l’achat d’un logement.

Le contrat de quartier
Les contrats de quartier sont des programmes de revalorisation urbaine dans différents quartiers vulnérables développés à l’initiative du gouvernement régional bruxellois et en collaboration avec les communes. Concrètement cela revient à dire que dans un quartier délimité et pendant une période définie (de 4 ans), un programme est établi et réalisé en tant qu’étape importante dans le cadre de la revalorisation du quartier. A cet effet, la commune collabore avec le CPAS,  toute institution d’utilité publique et de différentes asbl. Le programme est réalisé par le biais de cinq ‘volets’. Le premier volet concerne la construction de logements sociaux par la commune, les deuxième et troisième volets sont des instruments qui permettent d’attirer des investisseurs privés afin de construire des logements pour un public un tant soit peu plus aisé, par le biais du quatrième volet, on investit dans l’aménagement de l’espace public et le cinquième volet met des moyens à la disposition pour des initiatives sociales et économiques.
Les contrats de quartier visent quatre objectifs:
·            Remédier à la dégradation de certains quartiers.
·            Concentrer plusieurs projets en un seul quartier pour renforcer leur impact et éveiller de nouvelles dynamiques.
·            Intervenir dans les différentes composantes d’un quartier: les bâtiments, les espaces publics, les infrastructures et équipements de quartier, les initiatives économiques et sociales.
·            Réunir dès le départ les habitants et les utilisateurs du quartier de sorte que leurs besoins et leurs priorités puissent jouer un rôle.
Ce dernier objectif comprend la constitution d’un programme répondant dans la mesure du possible aux besoins du quartier. On essaie d’y arriver en plaçant la participation des habitants du quartier à l’avant-plan. A cet effet, deux types de réunions sont organisées:  les assemblées générales de quartier et les réunions de la commission locale de développement intégré.


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Depuis les années nonante, la Commune de Molenbeek-Saint-Jean a commencé à investir intensivement dans ce qu'on appelait communé-ment le ‘Vieux Molenbeek’ et ce que le bourgmestre Moureaux aime appeler le ‘Molenbeek historique’. Depuis les années septante, ces quartiers étaient abandonnés à leur sort et la commune ne s’intéressait  plus qu’aux nouveaux quartiers modernes à l’ouest de la de la ligne de chemin de fer. A cette époque les urbanologues ne rêvaient que de gigantesques immeubles à appartements multiples, le long de larges boulevards . Dans le courant des années nonante, la situation s’est inversée. La jeune Région de Bruxelles-Capitale se met à propager une nouvelle vision du développement urbain, selon laquelle on part des qualités des vieux quartiers populaires au lieu de les considérer comme  surannés et bons à passer sous le marteau piqueur. Les ‘émeutes de jeunes issus de l'immigration’ en 1994 prouvent que quelque chose doit changer dans ces quartiers et vont faire accélérer les choses. Par le biais de nombreux programmes régionaux, fédéraux et européens, la commune investit dans le réaménagement des espaces publics, la rénovation du patrimoine et la construction de logements sur terrains laissés à l'abandon. Dans ce cadre, les contrats de quartiers sont un des leviers les plus importants qu'une commune peut utiliser. Ces contrats mettent notamment des moyens à disposition pour construire de nouveaux logements et rénover des taudis. L’un des éléments de ces contrats de quartiers, le ‘deuxième volet’ permet d'attirer des investisseurs privés en mettant à leur disposition des terrains ou des bâtiments bon marché. En contrepartie, les logements doivent être louées ou vendues sous certaines conditions. Cette partie des contrats de quartier connaît très peu de succès, dans la mesure où le secteur privé témoigne très peu d’intérêt pour la formule.

1.2. Les partenaires se rencontrent

En 2003, la Maison de Quartier a conçu le projet de se charger elle-même, en collaboration avec des familles nombreuses du quartier, de la construction d’habitations. L’idée de départ était de réunir un certain nombre de familles afin d’acheter un terrain ou un bâtiment dans le cadre d’un contrat de quartier, de chercher un architecte et un entrepreneur, et de créer ensuite des habitations à cet endroit. Au cours des années précédentes, plusieurs groupes avaient réussi à créer des habitations abordables en achetant collectivement de vieux bâtiments industriels et en les transformant en logements. Il s’agissait généralement dans ce cas de personnes jeunes, de formation supérieure et originaires de la classe moyenne. Nous voulions vérifier si quelque chose de comparable serait également possible pour les familles qui venaient à nos permanences pour demander de l’aide. Nous avons discuté de l’idée avec notre public mais également avec certaines personnes qui avaient elles-mêmes collaboré à de telles opérations, avec des notaires et avec des architectes. Petit à petit, le projet a pris forme. Nous désirions faire usage du deuxième volet d’un contrat de quartier pour acheter un bâtiment à bon marché et ensuite le rénover, notamment avec l'aide des primes à la rénovation de la Région.

Fin 2003 nous avons donc contacté le service des Projets Subsidiés de la commune de Molenbeek pour présenter l’idée. La commune paraissait intéressée. Parmi les contrats de quartier en cours, il n’y avait pas de bâtiments inoccupés repris sous le volet deux. L’idée de départ ne pouvait par conséquent pas se poursuivre. La commune proposa par contre de réaliser le projet sur un terrain non bâti et proposa même également un endroit approprié. Ce terrain, situé dans la rue Fin, était repris dans le contrat de quartier Fonderie-Pierron et appartenait à la société de logement social ‘Le Logement Molenbeekois’. Il s’agissait d’un vilain chancre urbain qui était utilisé en tant que parking. Le propriétaire n’avait pas de projets particuliers à ce sujet. Le contrat de quartier prévoyait la construction d’habitations sur ce terrain.

Le terrain paraissait particulièrement apte à la construction de logements sociaux en propriété. A première vue, il paraissait peu attrayant pour d’autres investisseurs. Il y avait, en d'autres mots, peu de chances que d’autres candidats-acheteurs ne viennent se pointer spontanément.[2] En outre, le terrain est situé dans une partie du quartier où l'on trouve de nombreux logements sociaux donnés en location. Par le biais de ce projet, de nouveaux propriétaires-habitants pourraient être attirés ce qui rendrait le rapport de propriété plus équilibré dans le quartier.

Ensuite nous avons contacté le Fonds du Logement de Bruxelles. Pour que le projet se concrétise, il fallait que les futurs acheteurs puissent contracter des prêts sociaux pour acheter le terrain  obtiennent un sursis de paiement jusqu’à ce que les logements soient bâtis. Payer à la fois un loyer et rembourser un emprunt serait en effet impossible. Le Fonds du Logement a réagi de façon très positive et s’est montré disposé à accorder des prêts adaptés et à nous aider à réaliser le projet. 

Très vite un nouveau problème a surgi. Si les familles intervenaient en tant que promoteur, il leur faudrait un avant-projet architectural pour pouvoir acheter le terrain. La procédure du contrat de quartier prévoit en effet que l’offre soit accompagnée d’un premier projet. On ne disposait pas de moyens à cet effet. Nous avons contacté l’école d’architecture de La Cambre, qui a répondu avec enthousiasme et accepté de présenter le projet en tant que travail aux étudiants. Huit étudiants de dernière année travailleraient sur quatre propositions de projet différentes dans le cours du premier semestre de l’année académique 2004-2005. Ultérieurement, notre projet prendra une autre tournure et les ébauches des étudiants ne pourront pas être utilisées pour faire une offre lors de la vente du terrain. Nous avons bien pu en faire usage au moment de l’établissement d’un programme architectural. Les plans constituaient également une première concrétisation de l’idée, ce qui a permis aux familles décidées à s’engager dans ce projet, de se faire une meilleure idée de ce qui pouvait se passer sur le terrain. Lors de la première réunion avec les familles intéressées nous avons montré des diapos présentant les ébauches des étudiants. Finalement le soutien de La Cambre et de Pierre Blondel, le professeur responsable, nous ont aidés, en tant que petite Maison de Quartier, sans expérience en matière de construction neuve, a être pris au sérieux au moment de défendre notre projet.

Durant cette première période, une estimation grossière du prix total de revient a été calculée. En même temps ,nous avons examiné la question de la pollution du sol. Il y avait en effet de grandes chances que le sol soit pollué, ce qui entrainerait un énorme surcoût. Nous avons examiné qui pourrait être amené à payer les frais d’assainissement. Nous n’avons pas obtenu de réponse claire, mais nous avons compris que ce seraient éventuellement les futurs propriétaires.

Après un entretien avec un notaire et une évaluation approfondie des intérêts par rapport aux risques, la Maison de Quartier a conclu en septembre 2004 que le projet, sous sa forme actuelle, n’était pas réalisable. Le plan original, selon lequel les familles achèteraient elles-mêmes le terrain, afin d’y construire ensuite les habitations, paraissait comporter trop de risques. Il paraissait injustifiable d’entraîner des familles sans la moindre réserve financière, dans une telle aventure.

L’idée originale s’avérait non réalisable, mais nous n’avons cependant pas jeté le bébé avec l’eau du bain. Le Fonds du Logement a lancé une nouvelle proposition. Il proposa d'assumer le rôle de promoteur. En d'autres mots, le Fonds achèterait le terrain, construirait des habitations en propriété sociales et les revendrait ensuite aux candidats-acheteurs présentés par la Maison de Quartier Bonnevie.

1.3. Organiser la participation

Ce revirement eut un certain nombre de conséquences importantes. Vu que le Fonds du Logement prenait un rôle important dans le projet, nous aurions l'avantage de pouvoir compter sur une entreprise ayant beaucoup d’expérience et de connaissances en matière de construction d’habitations sociales en propriété. Mais il y avait aussi des inconvénients. En tant qu’institution publique, le Fonds du Logement Bruxellois est tenu de suivre la procédure d’appel d’offres général ou d’adjudication publique. Il doit donc publier chaque marché dans le Moniteur Belge de sorte que tous les architectes intéressés puissent concourir. Notre idée, selon laquelle le projet architectural se développerait sur la base des ébauches des étudiants de La Cambre, ne pourrait, par conséquent, pas se réaliser.
Du fait de cette nouvelle approche, le principe de participation était lui aussi compromis. La Maison de Quartier attachait cependant beaucoup d’importance à l’idée d’impliquer les candidats-acheteurs dans l’ensemble du processus. Nous considérions que cela favoriserait la qualité de l’architecture et l’engagement des habitants. A ce niveau-là, le Fonds du Logement nous a donné raison, persuadés que cette approche les aiderait à tenir compte du public-cible ainsi que des moyens financiers de ce public à chaque phase du projet et par conséquent, à diminuer les frais de construction. Le Fonds du Logement avait aussi ses réserves. On y craignait que, quand on leur demanderait leur avis, les candidats-acheteurs seraient trop exigeants et  ensuite déçus lorsque tout cela s’avérerait irréaliste. Il était fort possible aussi que certains candidats qui auraient déterminé le programme de départ, abandonnent le projet après un certain temps.
La plus grosse difficulté pour travailler de façon participative dans ce nouveau contexte, était que la procédure d’adjudication interdisait tout contact entre les futurs habitants et l’architecte. Il fallait rédiger un bon cahier des charges et espérer que l'architecte qui réagirait  comprenne exactement ce qu'on attendait et serait capable de couler tout cela dans un projet répondant aux attentes.

Il s’agissait aussi de trouver un mode d'organisation qui permette aux habitants de s’impliquer  et d'avoir leur mot à dire au cours du processus. Malgré de nombreuses études de toutes sortes et des notes  politiques citant l’importance de la participation, nous n’avons trouvé que très peu, voire pas du tout d'exemple de projets de construction dans le secteur du logement social en Belgique, dans lequel les futurs habitants étaient impliqués dans l’ébauche de leurs logements[3] . En outre, la Maison de Quartier ne disposait ni du temps ni des moyens pour s’acquitter toute seule de cette tâche. C’est à ce moment-là que le CIRÉ, avec lequel la Maison de Quartier avait déjà collaboré précédemment, est entré en jeu. Trois familles,membres du premier groupe d’épargne solidaire avaient acheté une maison à Molenbeek et avaient été suivies par le conseil en rénovation de la Maison de Quartier au cours des travaux de rénovation.

La formule des groupes d’épargne qu'expérimentait le CIRÉ,  paraissait  une bonne façon d’aider les familles pauvres à payer l’acompte pour l’achat d’un logement. De plus, la manière selon laquelle le projet s'est déroulé, avec des assemblées générales régulières lors desquelles les membres prenaient une grande part des responsabilités, a permis aux participants de faire connaissance, et de créer des liens de solidarité née au sein du groupe. Tout cela sera également très important pour le projet de la rue Fin. L’objectif était, en effet, de réunir un groupe de familles et de travailler intensément avec elles pendant quelques années. Le CIRÉ même était à la recherche d’autres façons d’appliquer l'expérience du premier groupe d’épargne et a accepté avec enthousiasme de participer au projet. Nous avons décidé d’organiser le groupe de futurs habitants à l’image des groupes d’épargne. On n’épargnerait pas pour payer l’acompte (dans le cadre de cette formule, ce ne serait en effet pas nécessaire), mais pour constituer un capital de départ pour la copropriété. En liant des conditions financières à l’affiliation au groupe (toute personne qui quitterait le groupe sans raison valable pouvait perdre une partie de son d’épargne) nous avons pu veiller à ce que personne n’accepte à la légère de se faire membre.

Une étape suivante importante fut la recherche de candidats-acheteurs. A cet effet nous avons contacté les “clients” de notre permanence logement ainsi que ceux du CIRÉ. Nous avons présenté le projet à une trentaine de personnes examiné dans quelle mesure ils étaient intéressés. Le Fonds du Logement a ensuite reçu les personnes intéressées et vérifié si les familles entraient en ligne de compte pour l'octroi d'un prêt et si leur situation familiale était telle qu’elles pourraient rembourser le prix d’achat estimé. Ensuite nous avons sélectionné 16  familles dans le groupe de 30. Pour faire ce choix, nous avons tenu compte de plusieurs éléments. Premièrement, nous avons examiné les conditions de logement actuelles et les chances de trouver un bon logement. Nous avons opté pour les familles qui, à notre avis, avaient le moins de chances de trouver. En outre, ces familles devaient être motivées pour s’engager durant quelques années dans ce projet, sans être sûr du résultat. Elles devaient également être disposées à s'engager en concertation avec d’autres familles, qu’en général, elles ne connaissaient pas. Enfin, nous avons tâché de constituer un groupe équilibré, au sein duquel nous avons essayé de rassembler des personnes d’origines diverses. Dans ce groupe finalement constitué, se trouvaient plusieurs familles que la Maison de Quartier connaissait déjà bien, dans la mesure où elles étaient actives dans le comité d’action Alarm. Ce comité d’action que nous soutenons, revendique le droit au logement. Une famille qui avait été active dans un groupe d’épargne du CIRÉ, mais qui n’avait pas trouvé d’habitation au cours du projet, s'est également retrouvée dans le groupe. Parmi les seize familles participant dès le départ, deux ménages se sont retirés bien tôt et n’ont pas été remplacés. Des quatorze familles restantes, quatre autres nous ont également quittés au cours du projet. Ces quatre familles ont été remplacées.[4]

1.4. La quête de subventions




Début 2005, le Fonds du Logement, la Maison de Quartier et le CIRÉ ont donc décidé d’élaborer ensemble le projet. Nous savions aussi qu’il y avait un public disposé à s’engager avec nous dans cette aventure. Et enfin, nous savions que la commune proposerait un terrain approprié à vendre. Ce qu’il nous fallait maintenant, c’étaient des moyens supplémentaires. Les prix de la construction commençaient à grimper considérablement[5] et nous craignions que le sol soit pollué, ce qui occasionnerait des frais d’assainissement supplémentaires. Nos premières estimations en 2003 avaient montré que l’opération pouvait être abordable pour les familles auxquelles nous songions, rien que grâce à l’achat d’un terrain bon marché dans le cadre d’un contrat de quartier. Cela ne paraissait plus réalisable aujourd'hui, en 2005. Sans aide supplémentaire de l'État, nous aurions dû abandonner définitivement nos projets. Le Fonds du Logement pourrait toujours construire sans problèmes, mais les logements seraient devenues impayables pour le public-cible de la Maison de Quartier et du CIRÉ. Les deux partenaires ont  alors très fort insisté pour que l’on se mette à la recherche ces subsides supplémentaires. Le Fonds n’avait en effet pas l’habitude de le faire et se méfiait des contraintes supplémentaires que cela pourrait entraîner. Pour nous il s’agissait cependant d’un élément important, non seulement pour la réussite du projet, mais également pour pouvoir démontrer qu’il n’est pas impossible de vendre des habitations (neuves) à des familles à faibles revenus, à condition que l'État intervienne financièrement.[6]



Nous avions de bons arguments pour revendiquer des subventions supplémentaires. La SDRB (Société pour le Développement de la Région de Bruxelles-Capitale) construit des logements en propriété pour des ménages à revenu moyen pour lesquels la Région de Bruxelles-Capitale prend 25% (ou plus) des frais de construction à sa charge. Si un gouvernement investit de l’argent dans la construction de logements pour un public de classe moyenne, pourquoi ne le ferait-il pas également pour un public moins favorisé? Il nous paraissait raisonnable de demander également des moyens pour notre projet. Bien qu'il n’existe pas de cadre pour ce type de projets, nous avons tout de même contacté la commune et la Région de Bruxelles-Capitale. Comme nous l’avions prédit, personne ne prêta l’oreille à notre proposition d’introduire une prime d’achat spécifique. C’est à ce moment-là que la Politique des Grandes Villes arriva avec, comme un cadeau tombé du ciel, ses contrats de logement,.






Politique Fédérale des Grandes Villes:[7]
La Politique Fédérale des Grandes Villes se déploie dans quatre domaines.
- Le soutien aux contrats de ville et aux contrats de logement dans diverses villes. Les contrats de ville, d’une part, se concentrent sur l’amélioration de la situation des quartiers à problèmes. Les objectifs centraux concernent l’amélioration de la qualité de vie, le renforcement de la sécurité et le fait de faire revivre les fonctions économiques dans certaines villes. Les contrats de logement, d’autre part, s’insèrent dans le cadre du plan du logement du gouvernement fédéral et se concentrent spécifiquement sur les problèmes de logement.
·         L’application de mesures de politique urbaine, notamment au niveau de la fiscalité, de l’emploi et de l’accompagnement de personnes régularisées.
·         Le développement, la stimulation et la diffusion d’expertise en matière de phénomènes urbains.
- La stimulation de la concertation entre divers secteurs fédéraux et niveaux gouvernementaux concernant des affaires urbaines (par exemple la Conférence Interministérielle de la Politique des Grandes Villes et du Logement).



Ces contrats couvrent une période de trois ans (2005-2007), et se concentrent en première instance sur la subvention de projets qui créent du logement.

Notre projet paraissait s’insérer parfaitement dans l’une des quatre pistes de travail prioritaires, à savoir, ‘la facilitation de l’acquisition d’une propriété pour familles à revenus faibles ou moyens et pour les jeunes’. Il répondait de plus aux quatre critères de sélection du programme, la préférence étant donnée aux projets qui 1) visent des actions positives pour certains groupes-cibles et se concentrent sur certains quartiers défavorisés 2) cadrent dans une approche intégrée de développement du logement et des quartiers, qui soit innovatrice sur le plan social et ait une fonction d’impulsion 3) sont limités en nombre, dont la faisabilité est assurée au niveau financier, technique, planologique... et qui sont exécutés dans un laps de temps raisonnable 4) ont une fonction pilote et modèle, avec ou sans cofinancement ou en collaboration public-privé.[8]

Malgré le fait que le projet de la rue Fin s’insérait parfaitement dans ce cadre, il s’est avéré très difficile d’avoir accès aux moyens. La Politique des Grandes Villes prévoit que les projets de partenaires privés (comme des associations) puissent être soutenus, mais les contrats sont conclus avec les communes, qui, de ce fait, ont une grande influence sur l’établissement du programme. Et comme la commune de Molenbeek mène elle-même une politique du logement dynamique, il n’a pas été facile d’intervenir. Il s’en est fallu de très peu à ce moment-là pour que le projet n’aboutisse pas. Mais finalement, après avoir exercé pas mal de pression, nous avons tout de même réussi en mai 2005 à faire intégrer le projet dans le programme pluriannuel du plan de logement de la commune de Molenbeek, et la subvention de 190.000 euros qui devait nous sauver, nous a été accordée.[9]

Cela signifiait que nous pouvions continuer. Nous avons constitué le groupe final et les familles se sont rencontrées pour la première fois dans le grenier de la Maison de Quartier le 11 octobre 2005. A partir de ce moment-là, les futurs habitants sont aussi devenus un quatrième partenaire, à part entière, dans le projet. Ils seraient impliqués dans toutes les décisions importantes et présents lors de tous les contacts et à toutes les réunions qui détermineraient le cours du projet.

A partir de fin 2005, nous avons organisé une série d’ateliers avec l’aide bénévole des étudiants en architecture de La Cambre qui venaient de terminer leurs études. Au cours de ces ateliers nous sommes allés à la recherche des besoins et des souhaits des familles en matière de logement. Fin 2005 et début 2006 trois ateliers ont été consacrés à la rédaction d’un programme et d’une liste de recommandations. Par le biais de discussions de groupe, nous avons analysé les besoins en matière de logement, et par le biais de “devoirs à domicile” et de visites à d’autres projets, nous avons recherché des façons de satisfaire ces besoins. Les résultats de ces ateliers ont été résumés dans un document[10] qui serait repris plus tard dans le cahier des charges pour l’adjudication publique. Les souhaits des futurs propriétaires y sont groupés autour de cinq thèmes importants, qui indiquent déjà où se situaient les priorités des familles:

- l’organisation de la cohabitation (éviter les conflits en limitant les espaces communs)

-          la typologie des habitations (des appartements duplex qui correspondent le plus possible à l’idée d’un logement unifamilial)

-          la luminosité (le plus possible de lumière naturelle)

-          l’espace privé  extérieur

-          le prix de revient (des habitations abordables avec une consommation d’énergie la plus basse possible)

-          l'exemple pour le monde extérieur (des matériaux durables et une image positive, différente de celle des logements sociaux habituels)

Par ailleurs, le programme a également été déterminé au cours de ces ateliers: le nombre d’appartements, la superficie minimale, le prix de revient maximal, etc. Ce programme serait également repris dans le cahier des charges du Fonds du Logement.

Pour répondre aux souhaits du service communal d'Urbanisme, un autre élément a été ajouté au cahier des charges: la construction de garages souterrains. Cela engendrerait un surcoût important, d’autant plus que le sol creusé pour les garages était complètement pollué et devrait être assaini. L'imposition de ces garages, avec entrée accessible par la voie publique, il fut plus difficile de veiller à ce que les habitations s'accordent bien avec l’espace public. Et enfin, on peut se poser la question s’il est justifié d'associer la construction de garages à un projet d’habitation durable par excellence, dans un quartier parfaitement desservi par les transports en commun et de plus, tout proche d’un autre parking souterrain. Les normes qui imposent ce type d’interventions ont, à notre avis, intérêt à être réévaluées. 

Le 1er juin 2006 l’association de fait a été fondée. Cette association devait donner un caractère plus formel au groupe des futurs propriétaires. Les membres ont choisi pour nom de leur association ‘L’Espoir’. Ils ont décidé entre eux du fonctionnement du groupe d’épargne,  de leur représentation aux réunions importantes, et de la présidence de l’association et du déroulement des réunions.



A ce moment-là, cela faisait déjà un an et demi qu’ils s’étaient réunis régulièrement. Jusque là, il n’y avait encore aucune certitude que le projet se réaliserait un jour. Le Fonds du Logement n’était, en effet, pas encore propriétaire du terrain et il était toujours possible qu’une autre personne intéressée se présente pour surenchérir. En mai 2006, à la fin du contrat de quartier, le terrain a été mis en vente.

Le Fonds du Logement Bruxellois était apparemment le seul candidat à vouloir acheter le terrain.

Le 19 juin 2006, le collège du Bourgmestre et des Échevins proposa au Fonds du Logement d’acheter le terrain à 60.000 euros, un quart de la valeur estimée.



Malgré le très faible coût du terrain et la subvention promise par la Politique des Grandes Villes, nous restions inquiets quant à la faisabilité du projet pour les membres les plus pauvres de groupe. Nous avons continué à chercher des possibilités de subventions supplémentaires. C’est ainsi qu’en décembre 2006, nous avons abouti au cabinet de la ministre de l’environnement Evelyne Huytebroeck. Là, nous avons appris que l'intention de la ministre était introduire une prime pour ce qui était encore relativement inconnu à l’époque, les maisons passives.[11]

Pour la construction d’une maison passive, la Région prévoirait une prime de 100 euro/m2. Cette prime devrait compenser le surcoût estimé de ce type de bâtiment. Le bénéfice financier pour L’Espoir résiderait donc essentiellement dans la diminution des coûts de l'énergie. La consommation d’énergie d’une maison passive représente en effet le quart de celle d’une construction neuve moyenne.

L’idée correspondait étroitement à l’un des objectifs des futurs habitants, à savoir,  la construction de logements à faible consommation d’énergie. Et pourtant, personne parmi nous n’avait osé rêver d’une concrétisation aussi importante de ce principe. A ce moment-là, on pouvait encore compter sur les doigts d’une seule main les maisons passives en Belgique et cette façon de construire était considérée comme une petite fantaisie intéressante pour écolos purs et durs.
Nous avons assisté à une session d’information de la ‘Plate-forme Maison Passive’ (PMP) qui venait d’être fondée et sommes partis avec le groupe visiter l’une des seules maisons passives habitées de Belgique à ce moment-là. A Zemst, nous avons reçu un accueil plein de chaleur (au sens propre comme au figuré) de la part de la famille qui venait de s'installer dans la maison. Cela a pu convaincre les plus sceptiques parmi les membres de L’Espoir. On a décidé de retenir cette option. Une seule famille, effrayée par ce concept, a quitté le groupe.

Les futurs propriétaires étaient convaincus mais le Fonds du Logement avait des doutes. Cette technologie était-elle vraiment fiable? Y aurait-il suffisamment d’architectes et entrepreneurs intéressés et compétents? Pourrait-on construire à des prix raisonnables? Les habitants, s’habitueraient-ils à cette façon de vivre? Après avoir consulté quelques spécialistes et après de nombreuses concertations, le Fonds du Logement s’est rallié à ce choix en se fondant pour cela en premier lieu sur le souhait explicite des membres de L’Espoir.

1.5. L’adjudication

De février à mai 2007 les quatre partenaires ont réfléchi et ont eu des réunions concernant le contenu du cahier des charges qui serait repris à l'adjudication publique. Le 31 mai 2007 les différentes parties ont approuvé à l’unanimité le cahier des charges et ses annexes. Celui-ci comprend notamment le programme établi par L’Espoir et sa liste de priorités. Les deux conditions importantes auxquelles tous les projets devaient répondre, c’étaient le prix de revient maximal de 1200 € par m2 et le standard de ‘maison passive’.  En outre les architectes ont été encouragés à proposer des mesures pouvant conduire à des économies d’eau et d’électricité, à choisir des matériaux écologiques là où c’était possible, etc.

Les critères d’attribution du marché en disent long également. Le critère le plus important (40 points sur 100), c’est le prix de revient au m2, les 40 points suivants vont aux qualités architecturales du projet et finalement on tient compte pour dix points, des mesures respectant l’environnement et pour dix points encore, des éventuels retards liés aux dérogations aux prescriptions d’urbanisme.

Le 11 juin 2007 le Fonds du Logement Bruxellois a publié l’adjudication publique dans le Moniteur Belge. La formule d’adjudication est particulière. La procédure traditionnelle d’adjudication publique comprend deux phases: au cours de la première phase on choisit un architecte (le projet est accompagné d'une estimation du prix de revient, calculée par l’architecte), au cours de la deuxième phase, on cherche un entrepreneur, sur la base d’offres de prix afin de réaliser le projet d’architecture retenu. Au lieu de parcourir séparément ces deux procédures, le Fonds du Logement a choisi ici pour la première fois, la formule d’adjudication combinée avec la possibilité de négocier. L’architecte et l’entrepreneur forment un consortium qui introduit une proposition commune. L’offre comprend conjointement  un projet d’architecture et un devis. Cette façon de travailler présente plusieurs avantages. Il y a d’abord et avant tout plus de certitude sur le prix de revient final, l’architecte et l’entrepreneur s’engageant à respecter un prix fixe dont ils ne peuvent pas s’écarter. Cette façon de travailler permet aussi de gagner du temps. Finalement le projet remis peut revenir moins cher, lorsque l’architecte et l’entrepreneur ont l’occasion, au cours de la phase conceptuelle, de se concerter sur certains choix techniques. C’est une façon de travailler qui correspond au concept de ‘l’équipe de construction[12], souvent retenu pour la construction de bâtiments écologiques. Le choix de cette formule n’était cependant pas dénué de risques. Le problème principal, c’est que dans ce contexte, les rôles déterminés légalement de l’architecte et de l’entrepreneur s’estompent. Un architecte lié à un entrepreneur pourra moins bien défendre son client, le maître d’ouvrage. Il était aussi à craindre qu'une telle façon de travailler limiterait rigoureusement le nombre de candidats éventuels. Nous en avons parlé avec plusieurs spécialistes et enfin le Fonds du Logement, le CIRÉ, L'espoir et la Maison de Quartier ont convenu d’opter tout de même pour la nouvelle formule. Dans le cas présent, cela a donné un résultat positif. Pour le projet finalement il est apparu clairement que l’architecte et l’entrepreneur, qui avaient l’habitude de travailler ensemble, s’étaient concertés au préalable concernant les plans. En comparaison avec des adjudications classiques, le budget initial a également été relativement bien respecté, à quelques frais imprévisibles près. La procédure a cependant connu quelques anicroches vu son originalité. Il n’était, par exemple, pas toujours très clair dans quelle mesure l’offre de prix devait être détaillée, ce qui entraîna parfois des tensions lors choix de matériaux pendant la phase d'exécution.

Sept associations d’entrepreneur et architecte ont répondu à l’appel à projets. Entre le moment où les enveloppes ont été ouvertes, le 14 septembre 2007, et l’attribution finale en mars 2008, se situe une période intensive d’étude et de concertation.

Les projets ont été examinés en détail par tous les partenaires pendant les derniers mois de 2007. Le 9 octobre 2007 tout le monde était présent au bureau du Fonds du Logement Bruxellois. L’équipe technique du Fonds du Logement au grand complet, toutes les familles, la Maison de Quartier et le CIRÉ ont découvert la présentation des sept projets. Les différents architectes, assistés en général de techniciens et entrepreneurs ont présenté leurs plans au partenaires présents.

Au cours des mois suivants nous nous sommes réunis plusieurs fois par semaine pour réfléchir et discuter du choix. Ce fut finalement une période très intense. Le Fonds du Logement mobilisa tous les moyens et examina minutieusement tous les projets. Cela demanda également de la part de L’Espoir et des associations qui les assistaient, de sérieux efforts. Pour des personnes qui n’ont pas l’habitude de lire des plans d’architecte, ce n’est pas une sinécure de devoir scruter sept projets très divers d’un bâtiment pour 14 habitations avec garages.

Parmi les projets soumis à l'examen, trois projets ont été sélectionnés dans la mesure où ils répondaient le mieux aux demandes du cahier des charges et où ils obtenaient le plus de points compte tenu critères choisis. Il s’agissait des projets des architectes Délices, Moreno et Carnoy. C'est avec eux que les négociations sur le prix et le projet se sont poursuivies.[13] Du fait de leur caractère confidentiel, ces négociations se sont déroulées essentiellement entre le Fonds du Logement et les architectes. C’est pourquoi il s’agit ici d’une des phases où les habitants ont le moins été impliqués.

L’un des projets ressortait du lot, celui de l’association de l’architecte Carnoy et des entrepreneurs Entrebois et Degrave. Le projet qu’ils présentaient était de loin le moins cher et ils parvenaient en plus, compte tenu du budget, à réaliser de plus grandes habitations. A tous les autres niveaux également, ce projet répondait très bien aux attentes des membres de L’Espoir et du Fonds du Logement. Mais il y avait un problème. Le projet présentait un bâtiment avec une structure entièrement en bois. Même si ces dernières années les entrepreneurs ont acquis pas mal d’expérience au niveau dans cette façon de construire, un immeuble d’habitations de cette taille (rez-de-chaussée et trois étages) n’avait jamais été réalisé de la sorte en Belgique. Et exactement comme l’année précédente, quand il fallait choisir de construire un logement passif ou non, les partenaires se trouvaient devant un choix difficile, le choix entre une innovation durable et une mode de construction  qui s’était déjà avérée fiable et qui était familière.
Pour aider les familles de L’Espoir à faire le bon choix, nous sommes d’abord allés chercher des réponses objectives à leurs questions pertinentes. Est-ce que ce type de bâtiment supporte l’usure du temps? Quelle est sa résistance en cas d’incendie? Est-ce que le bois ne va pas pourrir? Est-ce que le bâtiment sera suffisamment insonorisé? Après avoir trouvé dans les textes spécialisés des réponses rassurantes à toutes ces questions, nous avons repris la route avec les futurs propriétaires. Nous avons visité un autre bâtiment, plus petit, avec ossature  bois. Le fait que tout paraissait bien solide, qu’à l'œil nu la maison ne se distinguait pas d’une maison classique, que l’isolation sonore paraissait suffisante...les membres de L’Espoir étaient convaincus. Cette fois à nouveau, c’est leur conviction qui a amené le Fonds du Logement a oser franchir le pas. Le 24 janvier 2008 le conseil d’administration du Fonds du Logement accepta le choix du projet de l’architecte Carnoy.

1.6. Un bâtiment exemplaire

Le projet comprend un immeuble d’habitation de 14 logements duplex, 7 duplex (rez et 1er étage) avec jardin au rez-de-chaussée, et encore 7 autres duplex (niveau 2 + 3)avec terrasses.[14]

Chaque logement a deux façades (orienté au sud à l’avant, et au nord à l’arrière). Le nombre de chambres varie de deux à cinq et les habitations ont une superficie de 100 à 150 m2. Les espaces de vie se trouvent en bas, les chambres à coucher et la salle de bains à l’étage supérieur. La plupart des appartements disposent également d'une douche d’appoint à l’étage inférieur.

Les façades des habitations du bas sont chacune de couleur différente et vive. Vu de l’extérieur, l’immeuble donne  l’impression d’un ensemble de petites maisons, différentiées par la couleur. Cela minimalise l’impact de l’immeuble dans la rue et permet à l’immeuble de former la transition entre le grand immeuble d’appartements de rue Fernand Brunfaut et les petites maisons situées plus loin dans la rue.

Dans la partie supérieure du bâtiment (la partie non colorée de la façade), on fait le lien avec la nature, par l’usage de bois naturel et de structures qui évoquent la forme des arbres et qui seront bientôt couvertes de plantes grimpantes; dans le bas, les façades des logements présentent une palette de 7 couleurs vives.

Cet élément participe concrètement à la gestion de l’insolation. En été, quand il faut lutter contre une chaleur excessive, les feuilles donnent de l’ombre et en hiver, quand il faut faire entrer le soleil au maximum pour chauffer la maison, les feuilles sont tombées. La grande structure de bois en forme d’arbres ainsi que les plantes grimpantes apportent également, de façon symbolique et réelle, un petit bout de nature dans une partie de la ville où ce besoin est criant

La toiture verte y contribue également. Les panneaux solaires sur le toit, enfin, assurent la production d’eau chaude.



Caractéristiques
1. Standard de maison passive: consommation annuelle pour le chauffage < 15 kW/h/m2/an.
2. Structure du bâtiment: 100% en bois et en sous-produits du bois, essentiellement FSC et PEFC.
3. Étude technique poussée: isolation acoustique supérieure à la nouvelle norme NBN.
4. 40% du terrain est rendu à la nature et  des plantes garnissent la façade avant et le toit.
5. Une infime quantité d'eau de pluie s'écoule dans les égouts.
6. Coût de construction inférieur au prix du marché, y compris les surcoûts permettant d' atteindre le niveau d’énergie.
7. Consommation de gaz (Kw/h/m2/an) réduite à 13% de la consommation normale (2.447 au lieu de 18.571 euros par an)
8. Une économie de 41.374 kg d’émission de CO2 par an qui correspond à 0,25 kg par euro investi par an.



2007 fut  l’année où le projet architectural a été retenu mais c'est aussi cette année que le 2 octobre, les différentes familles, le CIRÉ, La Maison de Quartier Bonnevie et le Fonds du Logement Bruxellois ont signé une convention de collaboration. Celle-ci décrit les accords de collaboration entre les différents partenaires. Les conditions générales de vente y sont également précisées. C’est ainsi que pour l’attribution des habitations de la rue Fin, le Fonds du Logement a pu s’éloigner de son règlement général, selon lequel le premier nom figurant sur la liste d’attente des habitations en propriété peut choisir en premier. Dans ce cas-ci, il importait que les habitations puissent être vendues aux membres de L’Espoir.
La participation des futurs propriétaires a également été déterminée dans cette convention. C’est ainsi que l’on y mentionna entre autres que, malgré le fait que le Fonds du Logement désigneraitl’architecte, L’Espoir, la Maison de Quartier Bonnevie et le CIRÉ auraient une voix consultative dans ce choix.

1.7. Construit en à peine plus d’un an
La demande de permis d’urbanisme a été introduite et le 30 septembre 2008 la commission de concertation, l’organisme officiel  devant se prononcer à ce sujet, a émis un avis positif.
En janvier 2009, les travaux ont commencé. Au niveau technique également, il s’agissait d’un projet pilote. Un immeuble de cette taille qui devait répondre au standard de maison passive, et dont l'ossature était entièrement en bois. Du jamais vu en Belgique. Grâce à une collaboration intensive entre l’architecte, les entrepreneurs et différents bureaux-conseil, le bâtiment à pu être construit sans trop de problèmes et dans le délai prévu. Ce délai de construction fut particulièrement court, à peine plus d’un an.
Durant toute la durée des travaux, un des membres de L’Espoir, assisté de l’architecte de la Maison de Quartier, participa à chaque réunion de chantier,. Cela a permis aux habitants et à la Maison de Quartier de mieux se rendre compte de la structure du bâtiment.

Alors que l’immeuble de la rue Fin prenait forme petit à petit, L’Espoir, Bonnevie et le CIRÉ ont entrepris la préparation du déménagement. On organisa notamment des cours sur l’organisation de la copropriété et on travailla autour du thème de l’énergie. Avec chaque famille, on analysa la consommation d’énergie avant le déménagement. Cette analyse permettrait notamment de chiffrer l’effet du passage dans une maison passive sur la consommation énergétique et le budget familial. Ces derniers mois avant le sprint final, alors qu’il y avait toujours beaucoup d’incertitude concernant le budget, ce serait un élément important qui permettra au Fonds du Logement de déterminer les mensualités de remboursement des emprunts.
Plus on approchait de la date du déménagement, plus les futurs habitants ont commencé à se rendre compte qu’ils habiteraient dans une maison particulière, et plus ils se sont posé des questions à ce sujet. C’est pourquoi nous sommes à nouveau allés ensemble visiter une maison passive. Cette fois,nous avons pu aller voir la toute première maison passive de la Région Bruxelloise, où l’habitant (également l’architecte de la maison) a répondu aux questions de L’Espoir, très concrètes cette fois.
Nous avons également organisé un atelier à propos des travaux de peinture d’une maison et sur les divers types de peinture et nous nous sommes réunis une première fois pour réfléchir à l’aménagement des jardinets à l’avant et à l’arrière de la maison.

Les logements furent à peu près terminées dans le délai prévu, début 2010. Les ‘blower-door-tests’ qui vérifient l’étanchéité de l’immeuble, ce qui est très important pour le fonctionnement d’une maison passive, se sont déroulés de façon positive. Du fait de plusieurs problèmes administratifs et techniques, cela dura encore quelques mois avant que l’on ne puisse emménager, mais au mois de juin 2010, les habitants de l'Espoir ont pris possession de leurs appartements. Les premiers mois, comme les actes de vente et de crédit n’étaient pas encore prêts mais que les appartements étaient déjà habitables, les futurs propriétaires ont pu y habiter gratuitement, sur base d'un accord d’utilisation provisoire avec le Fonds du Logement. Le 3 septembre, les actes ont été signés au siège du Fonds du Logement et les membres de L’Espoir sont devenus les propriétaires de l’habitation pour laquelle ils s'étaient tant démenés.

Le 17 septembre 2010, près de cinq ans après la première réunion des habitants et plus de huit ans après le jour où pour la première fois l’idée du projet avait germé, le bâtiment fut solennellement inauguré. On pouvait maintenant entamer la suite de l’histoire.

2. Qu’avons-nous appris aujourd'hui?

Ce projet fut dès le départ considéré comme étant un projet pilote. Cela signifiait d’une part que personne ne nous avait précédé et que tous les partenaires ont donc, presque constamment, dû chercher des solutions aux nombreux problèmes techniques, administratifs, organisationnels, financiers et sociaux. Un projet pilote signifie également que l’objectif est de continuer à poursuivre dans cette voie et être précurseur pour d'autres projets. C’est pourquoi nous approfondissons  ici plusieurs éléments innovateurs du projet et les leçons que nous en avons tirées. Au moment où nous rédigeons le présent article, il faut encore qu’une évaluation soit organisée entre les différents partenaires. Il s’agit donc de conclusions personnelles et provisoires.

2.1.       Les logements sociaux en propriété sont-ils une alternative aux logements sociaux en location? Ou existe-t-il une troisième voie?

Dans le cadre de ce projet, nous avons dès le départ clairement opté pour des habitations en propriété. En première instance plusieurs arguments pragmatiques ont orienté ce choix. Tant pour la Maison de Quartier que pour le CIRÉ et le Fonds du Logement, l’acquisition d’une propriété par des familles à faibles revenus, était une matière connue. Il y avait en outre également un argument financier. Pour construire des habitations, il faut beaucoup d’argent. Dans le cadre d’un contrat de quartier, on peut également construire des logements en location mais les investisseurs ne se pressent pas pour investir dans la construction de bâtiments à destination de notre public. Les familles de l'Espoir elles-mêmes ont pu, par contre, rassembler un capital considérable, grâce aux prêts hypothécaires bon marché du Fonds du Logement.

Plusieurs arguments de fond ont également déterminé ce choix. En premier lieu, le souhait de de nombreuses familles de devenir propriétaire. Malgré le fait que de nombreux membres de L’Espoir n’avaient jamais osé espérer devenir un jour propriétaire, la brique dans le ventre est peut-être  plus universelle que nous ne le pensons. Devenir propriétaire est synonyme de sécurité de logement, d’indépendance. Devenir propriétaire est aussi synonyme d’une forme de prestige. C’est aussi un moyen de constituer un capital qui permettra plus tard aux enfants de démarrer plus facilement dans la vie. Cela signifie, en bref, une éventuelle issue à la pauvreté et à l’insécurité.

Pour le quartier, l’investissement de propriétaires-habitants devrait également représenter une bonne affaire. Dans les environs de la rue Fin vivent de très nombreux locataires sociaux, souvent dans des habitations sans caractère et de moindre qualité. Une grande partie d’entre eux ont dès lors du mal à s’approprier le logement et le quartier où ils habitent et sont par conséquent très peu enclins à s’engager dans la vie du quartier. Les propriétaires le feront probablement plus facilement. On peut par exemple se demander si les familles de L’Espoir auraient été disposées à investir autant dans le projet s’il s’agissait de maisons de location.

Ici s'achève l’argumentation à propos du choix d’habitations en propriété dans le cadre de notre projet. Mais est-il réalisable d’aider chacun à devenir propriétaire, et s’agit-il là de la politique la plus sociale, la plus juste, la plus efficace? Ou, pour citer une critique souvent entendue concernant le projet, tout cela, c’est très beau pour les quatorze familles qui avaient le bonheur de pouvoir compter sur les primes gouvernementales. Mais pourquoi eux, et pas les autres? Et quid s’ils revendent leur maison d’ici vingt ans? Dans ce cas l'État a perdu ce qu’il a investi, et tous les bénéfices vont aux propriétaires individuels.
Indépendamment du fait que cette critique est également valable, mais rarement formulée, pour toutes les autres formes d’aide à l’acquisition qui touchent généralement un public plus favorisé (déduction fiscale de prêts hypothécaires, logements SDRB, diminution des droits d’enregistrement…), il s’agit là d’une question légitime. Quand, il y a à peu près deux ans, on a commencé à se rendre compte que les habitations de la rue Fin verraient le jour, nous nous sommes mis à réfléchir à des formules permettant de réitérer un tel projet. 

En général, deux  politique de logement social s'affrontent:  l’aide à l’acquisition d’une propriété face à la construction de logements sociaux en location. En Belgique, la politique plutôt libérale, visant à l’acquisition d’une propriété a toujours primé. L’aide à l’acquisition de son  propre logement, liée tant à des  avantages fiscaux qu'à subventions à l’achat, ou de logements sociaux en propriété, est omniprésente chez nous. Les logements sociaux en location sont par contre, en comparaison avec certains autres pays européens, sous-représentés.

L’aide à l’achat d’une propriété devenue un moyen de se loger pour les familles à fables revenus, est parfois critiquée par la gauche. Les arguments souvent entendus qui critiquent une telle politique disent que cette aide n'est pas propice à redistribuer, dans la mesure où, selon le principe de Matthieu*, elle aboutit plutôt chez les riches que chez les pauvres. Un second problème réside dans le fait que les primes, réductions fiscales, prêts sociaux etc. ne facilitent en général pas l’accès à la propriété, mais font au contraire augmenter les prix et coupent donc indirectement l’accès à la propriété d'un logement pour certaines personnes. Le droit de propriété des ménages à revenus modestes ou faibles peut comprendre des risques. Quand ils ne sont plus capables d'assumer les remboursements mensuels, ils risquent de perdre leur logement et leur foyer, avec toutes les lourdes conséquences sociales qui s’ensuivent. De l’aide à l’achat résulte en outre, si l’offre d’habitations n'augmente pas, une pénurie sur le marché de la location, qui entrainera à son tour une augmentation des loyers. Un autre argument important réside dans le fait que, par le biais de l’aide à l’achat, l'État dépense de l'argent. La construction de logements sociaux revient plus cher que l’aide à l’achat, mais dans ce cas, l'État garde toujours un patrimoine ainsi qu’un instrument permettant de poursuivre sa politique de logement. Pour chaque logement social construit, non seulement une famille, mais de nombreuses familles trouveront un logement abordable, au fil des ans. Non seulement l’état dépense de l'argent en promouvant le droit de propriété, mais grâce à l'aide accordé, ce sont les propriétaires privés et non l'État qui pourront encaisser la plus-value générée par les investissements publics faits dans l’espace public et par d’autres équipements.   

Plusieurs de ces affirmations défavorables à l’aide à l’achat en tant que type de politique de logement, peuvent se réfuter facilement. Il est par exemple indubitablement  qu’une grande part de l’aide à l’achat n’atteint pas les pauvres (pour la majorité des programmes existants, ce n’est même pas le but), mais ce n’est pas là un argument pour supprimer cette aide, mais bien pour mieux la faire correspondre aux besoins de ceux qui en ont vraiment besoin. L’argument qu’une vente forcée entraîne de gros problèmes, équivaut également à un échec sur le marché de la location. L'expulsion de locataires qui ne peuvent pas payer leur loyer entraîne les mêmes conséquences traumatisantes pour les victimes. Le Fonds du Logement Bruxellois constate en outre, dans son programme d’aide à la location,[15] qu’il existe plus de problèmes de paiement chez les locataires que chez les propriétaires qui ont contracté un prêt hypothécaire chez eux.

Ceux qui critiquent une politique de logements sociaux en location disent en fait qu'une telle politique crée des citoyens dépendants, non motivés et aliénés. Dans leurs blocs uniformes d’habitations de qualité pitoyable, les locataires sociaux sont voués, comme le veut le cliché,  à s’empêtrer dans le filet de la sécurité sociale. Cela mène à la formation de ghettos, à la délinquance chez les jeunes, et à toute une série de de conséquences négatives. Les locataires sociaux demeureraient privés des chances de promotion sociale et d’émancipation que la propriété d’un logement pourrait par contre bien leur apporter. Dans le meilleur des cas, les logements sociaux en location donneraient aux locataires l’occasion de mettre un peu d’argent de côté, pour s’acheter plus tard quand même leur propre logement. Cependant, maintenant que le marché privé de la location et de la vente sont devenus à ce point inaccessibles, le système s’enlise et prive même les locataires de cette chance d’échapper au système. Ces critiques négligent un certain nombre d’atouts importants liés aux logements sociaux. Tout le monde n'est, par exemple, pas disposé ou en état de devenir propriétaire. Certaines personnes choisissent d’être locataires, parce qu’elles veulent, par exemple, louer aussi longtemps qu’elles n’ont pas fait de choix clairs dans leur vie ou parce qu’elles ne sont pas capables de supporter la responsabilité propre à la propriété.
A plus grande échelle, les logements sociaux présentent l’avantage, contrairement à l’aide à l’acquisition, de ne pas faire exploser les prix de location et de vente. Au contraire, quand il y en a assez, ils peuvent même entraîner un effet de correction et faire diminuer les prix du marché privé.

Pour résumer, cela revient à dire que c’est surtout la communauté qui tire parti des logements sociaux. C’est en effet grâce aux logements sociaux que, directement et indirectement, des habitations abordables sont disponibles pour les plus pauvres alors que l’aide à l’acquisition représente surtout une plus-value pour les individus qui peuvent devenir propriétaires par ce moyen. Une politique idéale devrait réussir à combiner les avantages de ces deux systèmes et à éviter les désavantages.

A l’heure actuelle ni l’aide à l’acquisition ni les logements sociaux en location ne parviennent à formuler une réponse à la croissante pénurie de logements pour les bruxellois pauvres. En première instance cela n’a rien à voir avec les désavantages inhérents aux deux systèmes mais avec un manque de soutien tout court. Le gouvernement n'apporte pas de solutions et les pauvres doivent essentiellement s’adresser au marché privé dont l’offre est insuffisante, tant au niveau du prix qu’au niveau de la qualité. La crise du logement et l'inertie du gouvernement constituent un gros problème, mais offrent peut-être des opportunités, comme ça se passe souvent avec les crises. L’espace non occupé par l'État (par des logements sociaux ou par l’aide à l’achat pour les revenus les plus faibles) pourra être occupé par des initiatives de base de citoyens et des organisations développant des solutions innovantes. L'attention portée aux ‘formules de logement alternatives’, allant du co-housing, à l’habitat en camping et à l’occupation de bâtiments inoccupés prouve que tout cela existe effectivement. Nous pouvons utiliser ce nouvel espace libre pour promouvoir des formules cherchant une bonne synthèse entre les deux systèmes appliqués actuellement (les logements sociaux et l’aide à l’achat), entre l’intérêt public et l’intérêt privé, entre les opportunités individuelles et une juste répartition des moyens.

Le mouvement altermondialiste a mis à nouveau à l’ordre du jour des thèmes fondamentaux tels que la propriété privée et le rôle de l’espace public/partagé/commun. Cela a conduit ces dernières années aux initiatives les plus diverses allant d’actions contre les messages publicitaires omniprésents, aux groupes alternatifs qui se sont mis à jardiner sur des terrains abandonnés de la ville, jusqu’à certains types de ‘community supported agriculture’ où les consommateurs deviennent copropriétaires des terres où le paysan cultive leurs légumes.[16] La formule des coopératives elle à nouveau à l'ordre du jour. Il en existe des exemples dans le secteur des soins, où les citoyens prennent eux-mêmes l’initiative et, en guise de réponse aux listes d’attente et face à l'inertie du gouvernement, créent des équipements et fondent une coopérative à cet effet. Dans le contexte économique, ce modèle bénéficie également d’une attention renouvelée. La crise bancaire a fait que certains ont commencé à mettre en question le modèle néolibéral ainsi que le rôle de la spéculation sur le cours des actions et que le modèle coopératif est à nouveau perçu comme une alternative cela.

Lorsque nous sommes allés à la recherche  de formules durables pour réitérer le projet de la rue Fin, nous avons abouti presque automatiquement à l’idée des logements coopératifs. Dans ce type de coopérative les habitants ne sont ni locataires, ni propriétaires. La coopérative est propriétaire du terrain et des habitations et les habitants possèdent une action de la coopérative. Lorsqu’ils déménagent, ils vendent leur action et en principe cette transaction ne peut engendrer de bénéfice pour eux, ce qui permet que l’habitation reste abordable pour l’habitant suivant (l’acheteur de leur action). Le mouvement coopératif a joué un rôle important lors de l’apparition du logement social en Belgique. Il reste toujours quelques logements coopératifs actifs dans le secteur du logement social, mais ils ont en général abandonné le mode de fonctionnement initial et diffèrent actuellement très peu des sociétés de logement sociaux classiques.
L’ancienne formule nous semblait cependant intéressante pour différentes raisons. Elle pourrait constituer une formule de gestion plus intéressante et plus participative que la copropriété classique. Grâce à elle, les logements bâtis seraient non seulement abordables au moment de la première vente pour des familles à faibles revenus, mais elles resteraient abordables même quand les premiers propriétaires vendraient leur logement. Une telle formule pourrait enfin aider à conserver l’esprit initial du projet, même lorsque les premières familles auraient déménagé. En quête d’inspiration nous sommes arrivés à une journée d’étude à Lyon, et là nous avons découvert une autre formule, celle des Community Land Trusts (CLT). Les Community Land Trusts sont des organisations gérées par la collectivité qui, sur un terrain collectif, créent des habitations abordables pour personnes à bas revenus[17]. Le trust reste propriétaire du terrain mais les habitants deviennent propriétaires du bâtiment, par le biais d’un bail emphytéotique ou d’un droit de superficie. L’un des aspects intéressants de cette formule, c’est que la réflexion sur la propriété foncière privée y occupe une position centrale. Grâce à cela, cette formule rejoint également les initiatives susmentionnées qui mettent en question l’utilisation actuelle de l’espace public. Les CLT vont encore plus loin en promouvant en fait une douce collectivisation de l’espace privé.
En rendant la propriété foncière collective et la propriété du bâtiment privée, ils réussissent à soulever l’apparente contradiction présentée ci-dessus. L’une des raisons pour lesquelles les personnes pauvres restent pauvres, c’est qu’elles n’ont pas accès à la propriété d’une habitation, parce qu’elles n’ont pas accès au crédit ou parce que c’est simplement trop cher. Il en résulte qu'elles ne peuvent non seulement pas constituer de capital mais qu'en plus elles paient souvent plus pour leur logement au cours de leur ‘carrière de locataire’ que ne le ferait le propriétaire d'un logement. La propriété immobilière génère donc de la pauvreté pour ceux qui n’y ont pas accès, de la richesse pour ceux qui y ont accès. Comment permettre aux revenus faibles d’accéder à la propriété sans renforcer ce mécanisme pervers? Cela paraît impossible, sauf quand on fait comme les CLT qui décortiquent le droit de propriété pour ensuite le redistribuer d'une part à la collectivité et d'autre part à l’individu.

Nous sommes convaincus que c’est là la voie que nous devons suivre pour rendre qu'un  projet tel que celui de L’Espoir soit réalisable à d’autres endroits de la ville. L’Espoir, Bonnevie et le CIRE sont avec d'autres à la base d’une réflexion lancée il y a deux ans à Bruxelles et actuellement aussi en Flandre et en Wallonie, sur le concept des CLT. L’idée a l’air de plaire à la Région de Bruxelles-Capitale et il existe aujourd’hui de réelles perspectives de pouvoir démarrer de nouveaux projets inspirés par L’Espoir, mais selon la nouvelle approche de la question de la propriété que nous avons découverte auprès des Community Land Trusts.

2.2. L’importance de la participation: réfléchir ensemble, décider ensemble, travailler ensemble.

Dès le départ  le but était d’impliquer de près le public de familles mal logées dans la réalisation du projet. L’idée sous-jacente était que cela pourrait améliorer la qualité des habitations dans la mesure où celles-ci correspondraient mieux aux souhaits et attentes des futurs propriétaires. Nous savions aussi, entre autres grâce à notre travail avec le groupe Alarm[18], que des habitants d'un quartier qui vivent dans de mauvaises conditions de logement sont disposés à collaborer à l’amélioration de leur situation. Nous savions, dès le départ, que nous aurions fortement besoin du soutien de ce groupe pour pouvoir défendre et réaliser le projet. Nous partions aussi de l’idée qu’en impliquant les habitants à la préparation, il serait possible de constituer un groupe solide, ce qui par la suite, pourrait faciliter la cohabitation des familles. Enfin, nous espérions que cette façon d’opérer pourrait contribuer à l’émancipation des familles qui y collaboraient.

Lorsqu’il est apparu que le Fonds du Logement était également intéressé par cette approche, nous devions chercher une façon d’organiser cette participation. Le modèle parfait a été trouvé dans les ‘groupes d'épargne solidaires’, une formule que le CIRÉ a développée et dans laquelle ils ont une expérience importante. Cette formule a plusieurs avantages importants. En premier lieu, elle propose aux membres la possibilité  de se lier au groupe à long terme. Il était important que les membres initiaux, qui détermineraient le programme de construction au départ, s’engagent à rester dans le groupe. Pas évident quand on sait qu'au départ, il n'y avait aucune certitude quant à la réalisation du projet, et encore moins quant au délai dans lequel le projet pourrait se réaliser. Les membres du groupe ont décidé d’inclure dans le règlement une disposition selon laquelle toute personne qui quitterait le groupe sans raison valable pourrait perdre une partie de son épargne. Une caisse d’épargne commune, combiné à un projet porté collectivement, sont de bons éléments pour  stimuler la formation d’un groupe. La forme d’organisation que le CIRÉ avait développée pour ces groupes, était elle aussi très utilisable: une assemblée générale bimestrielle, à laquelle assistent tous les membres, une commission d’experts bimestrielle constituée de cinq représentants de l’assemblée générale. Bonnevie et le CIRÉ assisteraient à toutes les réunions. Nous avons aussi repris à notre compte le déroulement des assemblées générales des groupes d’épargne. Chaque assemblée générale commençait par un examen du compte, présenté par le trésorier. Ensuite on discutait de l’évolution du projet et on prévoyait en général aussi un moment de formation.

Les réunions et les ateliers qui y étaient liés constituaient le lieu de réflexion à propos de l'aspect que devraient avoir les habitations. C’est là que dès le début du projet, le programme et les options ont été déterminés, c’est là qu’on a décidé d’opter pour une maison passive, et c’est encore là qu’après l’adjudication publique, les différents projets ont été analysés et discutés. Nous avions également l’intention après le choix du projet, d’organiser une concertation entre l’architecte, l’assemblée générale et les membres individuels afin de peaufiner encore le projet, en fonction des besoins des futurs habitants dans les limites du possible. Cela ne s’est finalement pas avéré possible. C’était dommage mais nous pouvons dire qu'en général l’avis des membres de L’Espoir a été entendu avant les décisions les plus importantes au sujet de l’architecture de leur future demeure.

Comme nous l'avons dit plus haut, nous avons organisé un moment de formation dans la plupart des assemblées générales. Le rôle des différentes parties au sein du processus de construction, le déroulement de la procédure de permis d’urbanisme, le fonctionnement d’un contrat de quartier, les avantages et désavantages de la construction à ossature de bois, les frais liés à la vente d’un logement, les divers aspects du développement durable, le fonctionnement d’une maison passive, etc... A chaque fois, un sujet était traité en profondeur par Bonnevie ou le CIRÉ, et expliqué aux familles.

Lors des réunions de l’assemblée générale et du comité de pilotage, l’évolution du projet était présentée concrètement. Les premières années, la réunion commençait souvent par la présentation de la ligne du temps et d’un planning qui comprenait la date (qui n’arrêtait pas de reculer) de la fin des travaux. Les chances de réussite étaient continuellement évaluées. On y discutait de ce qu’on pouvait faire pour, au besoin, sortir le projet de l’impasse, on examinait où on pourrait chercher des subsides et de comment s’y prendre. On y discutait de ce qu’on pouvait faire pour garder une bonne ambiance dans le groupe, on préparait des festivités, on discutait de la collaboration à la fête du quartier. Le trésorier parlait au début de chaque réunion de la situation des comptes, signalait qui avait payé sa cotisation et qui ne l'avait pas payée, et on cherchait comment stimuler les retardataires à régler leurs arriérés. 

Lors du comité de pilotage et de l’assemblée générale, on recherchait toujours un consensus entre toutes les familles et les deux organisations qui les accompagnaient. Cela nous a permis, durant les cinq années de notre collaboration, de défendre quasi toujours des points de vue communs lors des négociations avec le Fonds du Logement ou avec la commune. Des représentants de L’Espoir étaient présents lors de toutes les négociations et lors d’entretiens importants. Ensuite ils faisaient rapport en collaboration avec les associations lors de la réunion suivante.

Tant au niveau de la réflexion sur l’architecture des futures habitations qu’au niveau de l’organisation des moments de formation ainsi qu’au niveau de l’orientation du projet, les associations ont joué un rôle important, surtout au durant les premières années. Aucun des membres de L’Espoir n’avait beaucoup d’expérience avec ce type de concertation ou de réunion participative, et il s’agissait en outre d’une matière complexe qui ne leur était pas familière. Au début notre apport était considérable et beaucoup de membres de L’Espoir nous faisaient presque aveuglément confiance. Nous tâchions cependant à chaque fois de recueillir l’avis de tous les membres, de le comparer à nos idées et de présenter une synthèse de tout cela au groupe. Petit à petit les futurs propriétaires avaient l’habitude de ce type de concertation, et leur apport était croissant. Le rôle du président qui devait mener la réunion devenait plus important. Un plus grand nombre de personnes prenaient la parole pour exprimer leur avis ou demander des explications. Lors des réunions de concertation avec d’autres partenaires comme le Fonds, les représentants de L’Espoir prenaient de plus en plus souvent la parole et avec plus d’assurance.

La participation au projet des futurs habitants s’est avérée n'avoir que des avantages. Les trois objectifs que nous visions de la sorte ont été atteints, 1/ améliorer la qualité du projet architectural, 2/ donner plus de chances de réussite au projet en impliquant les habitants pour le supporter et 3/ stimuler la formation de groupe qui devrait ensuite faciliter la cohabitation.

1. Améliorer la qualité du projet architectural. La participation des habitants a parfois mené à des choix étonnants. La préférence marquée pour des maisons passives par exemple, à une époque où aucune de ces maisons n’avait encore été construite dans toute la Région Bruxelloise, vient en grande partie de l’Espoir. De même, lors du choix du projet de l’architecte Carnoy, leur voix a été prépondérante. Il est donc clair que c’est aussi grâce à eux que le projet a atteint une telle qualité architecturale. Après les premiers mois qu’ils y habitent paraît d’ailleurs que tous sont très contents de leur appartement duplex.
Nous estimons cependant qu’au niveau de la participation au projet architectural, on pourrait apporter des améliorations. L’un des problèmes était que les habitants et les associations n'occupaient pas une place bien définie dans le processus. En général, un processus de construction est déterminé au sein d’un triangle où le maître d’ouvrage, l’architecte et l’entrepreneur ont un rôle bien défini et prévu par la loi. Notre rôle n'est décrit nulle part. Une convention a pourtant été établie dont le but était entre autres de définir le rôle des futurs habitants et des associations accompagnantes, mais d’après nous, ce document pourrait être amélioré. Il est clair qu’au sein du Fonds du Logement régnait la crainte que les habitants ou les associations aient des attentes déraisonnables ou reprennent la barre. Comme, en tant que maître d’ouvrage, c’est eux qui portent toute la responsabilité légale, cette crainte est compréhensible mais cela place les acheteurs dans une position de dépendance. Finalement le Fonds du Logement a été disposé à suivre les souhaits des acheteurs sur à peu près tous les points, et la confiance mutuelle a fait que tout s’est bien passé. Lors d'un prochain projet, il nous paraît souhaitable de mieux élaborer cet aspect. Les acheteurs pourraient s’associer au sein d’une association d’acheteurs, comme il en existe aux Pays-Bas, ou dans une coopérative. Peut-être qu’une convention mieux élaborée peut également apporter une solution. (Tout en sachant qu’une bonne entente et la confiance sont au moins aussi importantes que les engagements contractuels, ce qui vaut d’ailleurs également pour les relations entre maître d’ouvrage, architecte et entrepreneur.)
Un autre problème que nous avons rencontré au niveau du projet du bâtiment, c’était l’obligation légale de procéder par adjudication publique. Selon la procédure normale, le maître d’ouvrage, les acheteurs et l’architecte tiennent une réunion pour élaborer ensemble un projet. Dans notre cas, la première phase comprenait la concertation entre les acheteurs et le maître d’ouvrage, dont a résulté un cahier des charges qui présentait les attentes communes. Ensuite, nous avons lancé ce cahier des charges et nous devions espérer que quelqu’un  comprenne nos attentes et soit capable de transposer celles-ci dans un bon projet architectural. A ce niveau-là aussi, nous avons eu de la chance cette fois, car l’architecte Carnoy a parfaitement compris de quoi il s’agissait et a réussi à traduire joliment nos souhaits dans son projet architectural. Nous craignons que ce ne sera pas toujours le cas, c’est pourquoi il est important qu’une meilleure communication soit possible entre toutes les parties. A l’occasion d’un projet suivant, il importe donc de convenir au préalable d’une façon de travailler et d’une répartition des rôles plus claire pour un certain nombre d’étapes cruciales de la procédure comme les négociations avec les concepteurs sélectionnés, les éventuelles adaptations du projet après adjudication et le suivi du chantier. Ce qui par contre était bien intéressant dans ce projet et qui mérite d’être suivi (et qui peut même recevoir plus d’attention dans un projet suivant), c’est que l’un des critères de choix du projet, était que les processus participatifs  soient familiers pour  l’architecte. Ce critère avait été repris en tant que tel dans le cahier des charges. De plus, un budget avait été prévu pour l’accompagnement aux réunions participatives et ultérieurement pour la formation des habitants.

2. Donner plus de chances de réussite au projet en impliquant les futurs habitants pour le supporter.
Les familles de l’Espoir se sont très vite approprié le projet. Elles en sont devenues l’une des forces motrices. Il s’est également avéré possible d’impliquer, en tant que partenaires à part entière dans un projet complexe, des personnes faiblement scolarisées (à quelques exceptions près) et sans beaucoup d’expérience dans ce type de processus. D’ailleurs, sans leur participation, l’immeuble n’aurait probablement jamais été réalisé. Du fait que les membres de L’Espoir étaient présents à chaque entretien important, que ce soit avec le bourgmestre, avec le ministre, avec la direction du Fonds du Logement où dans l’un des nombreux cabinets où nous nous sommes rendus ensemble, le projet avait également un visage et une voix. C’est indubitablement grâce à cela que les responsables furent disposés à chercher des solutions lorsque c’était nécessaire. Cela valait d’ailleurs également pour nous. Une fois que le projet avait démarré et que les familles s’étaient engagées, nous étions bien obligés de continuer, même les quelques fois que la situation nous paraissait désespérée.

3. Stimuler la formation de groupe afin de faciliter la cohabitation par la suite. Pendant les cinq années de préparation, les familles ont appris à mieux se connaître et des liens se sont créés. A plus d’une reprise, quelqu’un s’exclama ‘nous formons une grande famille maintenant’. C’est probablement un peu exagéré. C’est surtout depuis que chaque famille a pris possession de son logement que de temps à autre des frictions et frustrations ont apparu. Mais voilà, cela se passe, d’après ce que l’on dit, même dans les meilleures familles. En même temps, l’Espoir a montré en tant que groupe d'avoir la capacité de discuter de ces frictions et de chercher des solutions ensemble. Cela fut surtout sensible après l'aménagement, quand, en tant qu’associations, nous nous sommes tenus à l’arrière-plan.

A côté de ces trois effets, l’implication des habitants a eu encore un effet supplémentaire. Il s’agit d’un imprévu ou d’un point que nous ne visions du moins pas explicitement au départ.
La perspective de devenir propriétaires et tout ce que cela engendre comme perspectives, conjugué aux expériences acquises ont indubitablement aidé plusieurs personnes à atteindre également d’autres objectifs. Plusieurs personnes ont trouvé du travail, d’autres ont entamé une formation et quelques-uns se sont engagés dans la vie associative ou se sont chargés d’autres responsabilités. L’exemple des animateurs énergie est éloquent. Mustapha Mechbal et Lahoussine Fadel, deux papas de L’Espoir, ont suivi à de Bruxelles-Environnement une formation dans le cadre du ‘défi énergie’. Ils avaient pour but d’apprendre aux autres membres du groupe comment économiser de l’énergie en étant attentifs aux gestes quotidiens. Ensuite ils ont commencé, de leur propre initiative et avec le soutien de la Maison de Quartier, à donner ces formations à d’autres groupes du quartier. Depuis, des centaines de molenbeekois ont appris par leur intermédiaire comment économiser de l’argent et comment  protéger la planète en utilisant des ampoules économiques et en dégivrant à temps le congélateur. Au cours des dernières années, de nombreux participants ont également parcouru tout un chemin dans leur développement personnel, leur épanouissement personnel et  leur confiance en soi.

En général la participation de familles issues de l'immigration aux programmes de rénovation urbaine etc. est ressentie comme étant un objectif difficile à atteindre. Nous pouvons d’ailleurs en témoigner. Dans le présent projet ce ne fut cependant pas du tout le cas.
C’est clair.  Au moment de constituer le groupe nous avions choisi les personnes les plus motivées. Un certain nombre d’entre elles était déjà actives dans le cadre d’autres projets de la Maison de Quartier, ou au sein du groupe d’épargne du CIRÉ, ou au sein de leur église. Cela a indubitablement aidé.
Evidemment, les membres du groupe avaient dans ce cas aussi des raisons d’être motivés. Pour quelqu’un qui habite avec ses cinq enfants dans un mauvais appartement, il est incontestablement plus gratifiant de pouvoir collaborer à la réalisation de sa propre habitation, que de donner son avis sur la largeur du trottoir devant la porte.
Mais quand même... l’enthousiasme et la détermination dont témoignaient la plupart des personnes qui ont collaboré avec nous, nous ont étonnés et très agréablement surpris. C’était d’autant plus surprenant pendant les premières années, lorsqu’il n’était pas encore clair du tout que nous atteindrions notre but. Parfois, il nous semblait vraiment que de nombreux papas et mamans de L’Espoir avaient attendu l’occasion de s’engager activement dans un projet au sein duquel ils pourraient bâtir quelque chose avec d’autres, où leur voix serait entendue, où ils signifieraient quelque chose.

2.3. La mixité sociale vue de l’intérieur

Le deuxième volet du contrat de quartier, l’instrument qui nous a permis d’acheter un terrain bon marché, correspond à l’idée de l’intérêt d’attirer de nouveaux habitants, un peu plus aisés, vers ces quartiers désavantagés, pour faire ‘revivre’ ces quartiers. L’intention (cachée ou non) en est que ces pionniers, attirés par un espace public revalorisé et par des habitations subventionnées, ouvrent la voie à d’autres, moins aventureux et encore plus aisés, qui vont suivre.[19] Cela devrait conduire à une mixité sociale qui résoudrait les problèmes dans le quartier. Il convient de dire que Molenbeek est probablement l’une des communes qui s’avance le moins dans cette voie, qui ne croit pas aveuglément à l’effet salutaire de la mixité, et qui essaie de limiter la gentrification qui découle de ses contrats de quartier ou qui, du moins, ne mène pas de politique active pour favoriser cela.[20] C’est par exemple l’une des seules communes qui gère systématiquement en tant que logements sociaux les habitations qu’elle a construites elle-même dans le cadre des contrats de quartier (par le biais de ce qu’on appelle le ‘premier volet’) et qui les loue donc à bon marché aux habitants peu favorisés du quartier.

Via le premier volet, l’ordonnance des contrats de quartier donne l’occasion, aux communes qui le veulent, de construire des logements sociaux. Le deuxième volet vise par contre clairement les revenus plus élevés et suit ici l’idée que les quartiers défavorisés ont intérêt à attirer des habitants plus aisés. Notre projet s’est en fait emparé de cet instrument pour prouver le contraire. La ‘revitalisation’ d’un quartier ne doit absolument pas être réalisée par de nouveaux arrivants. Au contraire, en donnant aux gens du quartier la possibilité d’avoir un logement de qualité dans leur propre quartier et de jouer un rôle actif dans le développement du quartier, on peut arriver à une revalorisation dont les habitants actuels tirent également profit.

Dans le film ‘Toit(s)’[21], où la cinéaste Delphine Duquesne raconte l’histoire de certaines personnes impliquées dans notre projet, Fadma Amine, l’une des habitantes de L’Espoir, explique ce que le projet signifie en premier lieu pour elle: une occasion de faire partie de la classe moyenne. Des projets comme L’Espoir peuvent contribuer à former une classe moyenne au sein du quartier. En donnant aux habitants du quartier la possibilité d’acquérir leur propre logement, on leur donne des perspectives et ça les aide à ‘avancer’, à trouver du travail, à sortir de la pauvreté, à donner à leurs enfants la possibilité de poursuivre des études. Ainsi on réussit aussi, tout comme en “important” des ménages à double revenu, à faire monter les statistiques sur le taux de l’emploi, sur les revenus et sur les chances de réussite scolaire. Mais, contrairement à la gentrification, cette façon de faire aide aussi vraiment à lutter contre la pauvreté.

Au moment où nous avons démarré le projet, nous nous sommes longtemps demandé si nous devions nous efforcer à obtenir une mixité sociale au sein du groupe même. Finalement, nous avons décidé de composer le groupe en sélectionnant des familles qui avaient déjà fait appel à Bonnevie et au CIRÉ pour trouver un meilleur logement. Parmi ces familles nous avons décidé de donner la priorité à celles qui en avaient le plus besoin. Nous étions d’avis que c’était notre tâche de donner le plus de chances aux familles les plus exclues.
Nous avons obtenu ainsi un groupe assez représentatif du quartier. De ce fait, le groupe s'est composé de membres ayant un profil socio-économique similaire et il y avait donc peu de mixité sociale. C’est ainsi qu'involontairement mais pas par hasard, il n’y avait pas de familles autochtones belges dans le groupe. Cette situation a été mise en question plusieurs fois par les membres du groupe même. Bon nombre d’entre eux auraient préféré qu’il y ait aussi des belges autochtones (sans le dire explicitement, cela sousentendait: plus aisés et plus scolarisés).
Malgré que le profil socio-économique de la plupart des habitants soit similaire, il y a de grandes différences entre eux. Il y a ainsi dans le groupe, des personnes originaires de dix pays différents, des noirs et des arabes, des chrétiens et des musulmans. Ce n’était pas évident. Dans le quartier, il est clair qu’il y a des tensions entre ces groupes. Cela nous frappe cependant de voir que la majorité des membres de L’Espoir voient ce mélange comme un enrichissement et qu’au cours des cinq années durant lesquelles le groupe s’est réuni pour la préparation, il n’a jamais engendré de tensions. Après le déménagement quelques irritations ont apparu par-ci, par-là. Ce qui à première vue paraissaient être des questions de détails (comme les chaines de télé sur lesquelles sont réglées les antennes paraboliques communes sur le toit ou encore, des chaussures dans le hall d’entrée devant la porte), sont autant de sujets de frictions et démontrent qu’une bonne entente au-delà des frontières culturelles ne pourra se maintenir sans efforts. Ce qui est remarquable cependant, c’est la façon avec laquelle les habitants ont géré ces tensions. Du coup, une série de mesures ont été prises et des activités collectives ont été organisées pour y remédier.

La majorité des parents de L’Espoir n'ont bénéficié que d'un faible niveau d’instruction dans leur pays d’origine. Au sein du groupe il y a bien quelques personnes qui ont suivi un enseignement supérieur. Depuis que les habitants opèrent plus ou moins indépendamment, et s’appuient sur un encadrement minimal de Bonnevie et du CIRÉ cela constitue apparemment  tout de même un atout. La gestion du bâtiment et tout ce qui s’ensuit demande pas mal de connaissances et de compétences et depuis qu'ils ont emménagé, les cohabitants comptent beaucoup sur ces quelques personnes mieux instruites.

De même que ceux qui défendent la mixité sociale comme pensée dominante ont peu d’arguments scientifiques pour fonder leur théorie, nous avions au départ de notre projet peu d’arguments pour défendre le choix contraire, sauf l'argument de la justice sociale, selon lequel, il faut prioritairement être attentifs à ceux qui en ont le plus besoin. Le temps démontrera si nous avons eu raison à ce sujet. Nos expériences des dernières années ont cependant démontré qu’un groupe constitué exclusivement de personnes à bas revenus peut parcourir un sacré bout de chemin quand il est, tout comme le groupe L’Espoir, fort motivé et bien encadré.

2.4. La construction écologique pour des ménages à faibles revenus

Nous serons brefs sur ce thème. De nombreuses personnes concernées par la construction écologique ou sociale se demandent si ces deux aspects peuvent se combiner. Nous aussi, nous nous sommes posé la question. Finalement il est apparu qu'au moment où nous avons reçu les moyens financiers à cet effet (primes pour la construction passive et bâtiment exemplaire) et après avoir donné une information claire, que presque tous les acheteurs étaient partisans d'une construction économe en énergie, de l’utilisation de matériaux écologiques, de toits verts, de panneaux solaires et de récupération de l'eau de pluie. Ainsi nous avons, à mon avis, cité également les deux conditions à remplir pour que la combinaison entre l'écologie et le social soit fructueuse: donner une bonne information, et veiller à ce que le prix de revient n'augmente pas par le choix de la construction écologique.

2.5. Leçons financières

Avant de démarrer le projet nous avons fait une sommaire étude de faisabilité. Que ce projet répondrait à un besoin, ça nous le savions. Que certains habitants seraient disposés à collaborer avec nous, nous l'avons constaté très vite après en avoir discuté avec un certain nombre de personnes. Entre-temps nous avons examiné si ce que nous avons l’intention de faire était possible dans le cadre de la législation existante, si nous pouvions trouver des partenaires disposés à collaborer, et si nous pouvions trouver un soutien politique pour ce que nous voulions faire. La faisabilité financière fut un dernier élément important.

La question à laquelle nous devions trouver une réponse était simple: combien est-ce que ça coûterait à peu près et est-ce que nous trouverions les moyens pour payer tout cela?

Combien ça peut coûter?
Pour calculer le prix de revient estimé, nous devions connaître deux choses, le prix du terrain et le prix de la construction. Le prix du terrain représentait au moins 67.500 € soit ¼ de sa valeur.
Au sujet du prix de construction estimé, nous devions d’abord examiner ce qu'on pourrait  construire sur le terrain, établir un programme (combien de logements, autres fonctions éventuelles, superficie totale) et ensuite, sur base des prix moyens au mètre carré, déterminer combien cela pourrait coûter. Pour établir le programme nous avons pu recourir aux projets architecturaux des étudiants de La Cambre. Ils nous ont montré les possibilités que présentait le terrain et sur cette base nous avons déterminé quelle était la surface sur laquelle nous pouvions construire ainsi que le nombre d'étages de la construction. Pour déterminer le prix de la construction, nous avons contacté des amis architectes, des maîtres d’ouvrage et des promoteurs qui avaient récemment réalisé des projets de même envergure. Ce ne fut pas tellement facile de déterminer un prix moyen sur base de ces éléments. Non seulement, chaque projet est différent, mais tout le monde ne parle pas de la même chose quand il présente un prix au mètre carré. En fonction de la personne qui nous informait, cela comprenait ou non le prix du terrain, les frais pour l’architecte et l’entrepreneur, et la TVA. Finalement nous avons établi, en 2004, le prix de revient estimé moyen pour la construction à 1187 €/m2.
Nous devions calculer maintenant s’il nous était possible d’équilibrer notre bilan, en d'autres mots, si nous pouvions trouver suffisamment de moyens pour payer ce coût estimé. Ces moyens devaient essentiellement provenir des prêts hypothécaires contractés par les familles. Cependant nous avons encore cherché d’autres moyens. Nous avons ainsi étudié l’éventuel financement d’une partie de l’immeuble par d’autres investisseurs, comme des institutions sociales en quête d’espace, ou la possibilité de trouver des subventions pour la construction. Nous avons examiné un certain nombre de pistes mais en vain. Les propriétaires devraient donc tout payer. Afin de déterminer si cela serait possible ou non, nous devions savoir s’ils pouvaient rassembler le budget requis grâce à leur propre apport et grâce à un prêt social. Nous devions également signaler quel prix de vente et quels remboursements mensuels nous semblaient justifiés pour un projet social. Nous ne nous sommes finalement pas vraiment prononcé à propos de ce dernier sujet. Notre réponse était d’ordre pragmatique. En ce qui concerne le prix de vente, les logements de la SDRB constituaient notre référence, dès le début du projet. Ces logements s’adressent à un public ayant des revenus nettement supérieurs à ceux de notre groupe. Nous partions donc du principe qu'il fallait  réussir à vendre les logements de la rue Fin moins chers que les logements moyens de la SDRB. Ce ne serait pas juste ni logique que des logements construits pour un public à bas revenus, reviendraient plus chers que des logements construits pour un public de classe moyenne. Très vite que ce principe nous parut difficilement réalisable dans la mesure où nous ne disposions pas de l’intervention structurelle des pouvoirs publics dont bénéficiait la SDRB. Par la force des choses, nous avons donc dû  abandonner ce principe. En ce qui concerne le taux de remboursement maximal, nous nous sommes basés sur ce que les gens étaient disposés à payer mensuellement et sur ce que le Fonds du Logement considérait comme une mensualité réaliste.
Nous avons donc laissé sans réponse la question de savoir ce qui correspondait à un prix social juste. Le fait de savoir que les propriétaires devraient payer à peine plus (ou même moins) pour devenir propriétaire d’un logement neuf et de qualité par rapport à ce qu’ils paieraient comme loyer pour un logement de qualité nettement inférieure, nous suffisait.
Voilà comment nous en sommes donc venus à conclure que le prix de revient estimé serait abordable pour notre public-cible, grâce aux prêts sociaux.
Il y a une grande différence entre les premières estimations du coût de la construction et le coût final (500.000 €). On peut expliquer cette différence par la hausse des prix des matériaux de construction[22] et des frais généraux de construction pendant la période de 2004 à 2009, par les surcoûts non prévus pour l’assainissement du sol et par un certain nombre de nouvelles normes (isolation acoustique, verre de sécurité). C'est  à cause de ces éléments que le projet initial a dû être adapté.
Malgré tout cela nous avons quand même réussi à limiter le coût de la construction et à maintenir les logements à un prix abordable pour les familles avec qui nous avons démarré le projet.
Le coût total de la construction des logements se monte à 3.014.029 €. Les logement seraient vendus déduction faite des primes à des prix entre 203.503 € (26)  (5 chambres, 153 m²) et 120.172 € 2 chambres, 85 m²) (27). Si le coût de la construction est resté limité, cela a à voir avec le fait que c’était là l’objectif premier du projet. Nous avons en effet veillé avec le Fonds du Logement à ne pas perdre cela de vue dans tout le processus d’adjudication, attribution, négociation et construction. Lors de l’adjudication le prix de revient maximal par m2 brut habitable a été établi à 1200€. En outre le prix de revient constituait le critère d’attribution le plus important. Pour la première fois, le Fonds a fait appel à une ‘adjudication et négociation combinées’. La nouvelle formule d’adjudication a influencé positivement le prix de deux façons. Grâce à cette formule,  l’architecte a pu au préalable discuter avec l’entrepreneur et, à l’entame du projet cela lui a permis de tenir compte d’éléments pratiques qui pouvaient faire diminuer le prix. C’est en outre une bonne façon d’éviter un écart trop important entre le prix estimé par l’architecte et le prix final. De même, au cours des négociations et plus tard, lors de la construction, on a toujours tenu méticuleusement compte du budget dont disposaient les futurs propriétaires afin d’éviter tout surcoût.
 
Malgré le fait que grâce à tout cela le coût de la construction soit resté limité, il a quand même fallu finalement des moyens supplémentaires.
Nous avons été repris dans le ‘programme de logement’ de la commune de Molenbeek et avons ainsi pu utiliser une subvention de 300.000 € de la Politique Fédérale des Grandes Villes. De toute l’aide gouvernementale dont a bénéficié le projet, il s’agit ici des seules subventions spécifiquement ‘sociales’.[23]
Pour la construction nous avons pu compter sur les primes 'maisons passives' de la Région de Bruxelles-Capitale et comme le bâtiment a été reconnu en tant que bâtiment exemplaire, nous avons reçu de surcroît une prime de 164.970 €
En construisant des logements à basse consommation énergétique, on a en outre diminué considérablement le prix global des logements. Enfin, ce sont également les prêts sociaux du Fonds du Logement (taux d’intérêt de 2%) qui ont rendu le projet réalisable. Tous les acheteurs ont pu y recourir et en outre, dans le cadre de ce projet, le Fonds a fourni des efforts supplémentaires pour rendre l’opération accessible pour chacun des futurs propriétaires en prolongeant, par exemple, le délai de remboursement jusqu’à trente ans et au delà de l'age maximal.

Un gros problème a surgi au dernier moment, l'imposition d'une TVA à 21 %. Pour la construction de logements sociaux en propriété ou en location le taux de TVA en vigueur est en principe de 6% . Malgré que notre projet s’adresse à un public se situant largement sous le plafond des revenus, les acheteurs ont quand même dû payer 21%.[24] Le Fonds du Logement a cependant interjeté appel contre cette décision et quelques mois après l'emménagement cet appel a été accepté. Les acheteurs récupéreront donc une partie de la TVA. Bientôt , notamment suite du projet de la rue Fin, aura lieu au parlement bruxellois, un débat sur le taux de TVA réduit.

La conclusion principale de cette réflexion, c’est que dans la situation actuelle, il est presque impossible que de tels projets restent accessibles à notre, quand ils doivent être amortis dans une période de trente ans. Un terrain bon marché dans le cadre d'un contrat de quartier peut contribuer à un projet mais ne suffit pas. La quête continuelle de moyens supplémentaires et l’insécurité des futurs acheteurs qui ne savent pas si le projet pourra se réaliser ou non, occasionnent des tensions supplémentaires. Il est donc important qu’il y ait une nouvelle aide financière spécifique permettant de rendre possibles de tels nouveaux projets. Cela pourrait par exemple se faire par le biais d’un Community Land Trust, dont nous avons déjà parlé ci-dessus.

3. Conclusion

Cet article prend peut-être des airs de ‘peptalk’ et présente peut-être trop la vie en rose. Et c’est vrai que nous avons très peu parlé des nombreuses heures de dur labeur, des cheveux gris, des nuits d'insomnie pratiquement de  tous ceux qui ont collaboré, du Fonds du Logement, de Bonnevie et du CIRE, et des membres de L’Espoir. Comme il s’agissait d’un projet pilote, nous devions à tout moment tout tirer au clair et chaque nouveau choix devait être contesté. En même temps, cet aspect innovateur a rendu pas mal de choses possibles. Comme, par hasard, nous étions actifs dans un certain nombre de domaines qui à ce moment-là commençaient à susciter l’intérêt des pouvoirs publics (les projets de logement collectifs, la participation, la construction écologique), nous avons eu droit à beaucoup d’attention et, une fois les premiers pas décisifs franchis, à la bonne volonté de la plupart des responsables. Comme tout devait être tiré au clair, on nous a donné l’occasion de ce faire et nous n’avons pas été obligés de choisir des solutions toutes faites. Cela signifie évidemment aussi que les choix faits ici ne sont pas nécessairement les meilleurs dans n’importe quelle situation. Un certain nombre d’éléments du projet (le concept de la maison passive, la procédure d’adjudication, la façon d'organiser la participation et l'accompagnement des familles) méritent d’être évalués plus en profondeur et ne devront sûrement pas être copiés  aveuglément.

L’Espoir fut, grâce à l’ouverture d’esprit dont témoignaient tous les partenaires qui y ont collaboré, un beau projet positif. Grâce à cela nous avons rencontré ces dernières années énormément de gens disposés à nous aider, les uns en nous expliquant une subtilité ou en nous montrant quelque chose, les autres en donnant un coup de main, en reprenant un dossier qui n’avait abouti à rien, en réalisant un film, en nous donnant un soutien politique, en acceptant le parrainage[25], en parlant du projet. Les efforts de tous les partenaires et l’aide de toutes ces personnes nous a permis d’aboutir encore bien plus loin que notre objectif initial, qui était quand même déjà ambitieux (construire des habitations en propriété pour quatorze familles à bas revenus). En 2003, nous n’avions pas osé rêver qu’il s’agirait d’habitations passives, que le projet engendrerait toute la réflexion sur les  CLT en cours aujourd'hui à Bruxelles, que les familles s’engageraient à tel point pour leur quartier même avant d’être bel et bien installées, ou que les parents de L’Espoir organiseraient communément des sorties au musée pour tous les enfants.

L’expérience de la rue Fin a démontré que l’approche utilisée peut garantir des logements  qualitatifs et durables et peut représenter un complément important aux formes actuelles de la politique de logement. La solidarité des familles de L’Espoir, qui se trouve également à la base du succès, ainsi que le caractère émancipateur du projet lui donnent cependant une dimension qui va bien plus loin que la problématique du logement. Il démontre que les gens qui sont exclus d’une participation à part entière de la vie sociale et économique, changent du jour au lendemain quand ils en ont l’occasion, et ne sont plus des assistés sociaux mais deviennent des  acteurs qui peuvent contribuer considérablement à bâtir une meilleure ville et une meilleure société. C’est pourquoi il est important de poursuivre sur cette lancée, de fonder de nouveaux groupes de construction, de faire surgir de nouveaux bâtiments, de prévoir les moyens pour rendre cela possible, et d’élaborer de nouvelles formules comme celles des Community Land Trusts qui en constituent une base adaptée.



[1]             
[2]              Les opérations du deuxième volet du contrat de quartier se déroulent par adjudication publique. L’acheteur qui présente l’offre la plus intéressante au niveau financier ou au niveau du contenu, se voit attribuer le terrain.
[3]              Plus tard, à Rotterdam, lors d’une voyage d’étude avec Samenlevingsopbouw, nous avons découvert un projet qui suivait la même approche que nous. Biz Botuluyuz, dans le quartier Bospolder-Tussendijken, est un immeuble de 24 habitations en propriété, construit par une société de logement sur lcmmande d’un groupe de familles essentiellement turques accompagné par ‘l’Opbouwwerk’.
[4]              Une famille a trouvé un appartement après deux ans et l’a acheté  avec un prêt d’un fonds du logement, une famille a décidé de retourner dans son pays d’origine, la Colombie, une famille a abandonné lorsqu'il fut décidé de construire une maison passive et une dernière famille a décidé d’abandonner pour des raisons familiales.
[5]             
[6]              Jusqu’en 1998, lorsque les logements étaient encore nettement moins chèrs, il existait d’ailleurs une prime d’achat dans la Région Bruxelloise. Qui achetait, sous certaines conditions, un logement à l’intérieur des Espaces de Développement Renforcé du Logement, pouvait compter sur une intervention intéressante.
[7]              http://www.politiquedesgrandesvilles.be/fr/what/index.aspx
[8]              http://www.politiquedesgrandesvilles.be/fr/what/programme/housing-contracts.aspx
[9]              Finalement nous avons encore dû recourir par la suite, à deux reprises, aux moyens de la Politique des Grandes Villes.
[10]            
[11]            “La dénomination de maison passive désigne un standard de construction spécifique pour bâtiments d’habitation, ayant un bon climat intérieur, en hiver comme en été, sans système de chauffage ou de refroidissement traditionnels. Une maison passive est par conséquent une maison très économe en énergie. Il faut à peine la chauffer, la puissance d’un fer à repasser suffit pour qu’il y fasse bon en hiver. Une maison passive peut se présenter sous toutes les formes. Certains éléments reviennent toujours: beaucoup d’isolation, une bonne étanchéité, un système de ventilation avec échangeur de chaleur et l’usage optimal d’énergie passive, avec en plus, des appareils à faible consommation d’énergie et des sources d’énergie renouvelables. Plus d’info: www.maisonpassive.be

[12]            Une équipe de construction comprend une relation de collaboration entre le maître d’oeuvre, l’architecte et l’entrepreneur qui coopèrent, au sein d’une relation coordonnée,  à l’ébauche du projet, l’engineering du projet et la construction. Le but de l’équipe de construction est d’obtenir ensemble une ébauche de projet exécutable qui pourra être réalisé.

[13]             La procédure d’adjudication prévoyait également un petit remboursement de frais pour les bureaux dont le projet ne serait pas réalisé.
[14]             CARNOY, D. Bâtiment “L’Espoir”, texte rédigé à l’occasion de l’ouverture du bâtiment, Atelier d'Architecture sc/sprl CARNOY-CRAYON
[15]             Principe de Matthieu: On doit ce terme au sociologue Rob. K Merton et fait rélérence à l'évangile de saint Matthieu:”Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l'abondance, mais à celui qui n'a pas on otera même ce qu'il a”. 
                 Les logements d’aide locative du Fonds du Logement sont loués à des familles à bas revenus. Le loyer est moins élevé que le prix du marché, mais généralement plus élevé que le loyer des logements sociaux.
[16]             En France l’organisation Terre de Liens a par exemple pas mal d’expérience de ces formules. A l’heure actuelle, une dizaine de fermes sont devenues des propriétés collectives.
[17]             DE PAUW, G. Een Community Land Trust in Brussel: Gemeenschapsgrond als basis voor betaalbare woningen en een democratische stad. Opbouwwerk Brussel, mars 2010, Bruxelles

[18]             Brochure alarmxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx
[19]             La terminologie qu’utilisent les défendeurs de ce type de politique rappelle la conquête du Far West. On parle de pionniers comme si les Indiens/Marocains qui y habitaient, n’existaient pas, ou ne pouvaient du moins pas être considérés en tant qu’habitants réguliers. Ils constituaient tout au plus une menace pour les nouveaux arrivants.

[20]             Une exception importante est la première grande opération de rénovation urbaine dans le vieux Molenbeek, Rive Gauche. Cette opération était accompagnée d’une campagne publicitaire active qui essayait d’attirer de jeunes ménages à double revenu vers le quartier, en parlant de la proximité de la Grand Place de Bruxelles et en cachant scrupuleusement que les habitations étaient en fait situées dans le Molenbeek ‘mal famé’.
[21]             Toit(s), film de Delphine Duquesne, septembre 2010, production GSARA.
[22]             L’index ABEX, qui présente le coût moyen de la construction en Belgique, a augmenté de 27% entre janvier 2003 et janvier 2009.
[23]             M algré que même les moyens de la Politique des Grandes Villes puissent être utilisés pour subventionner les habitations de personnes à revenus moyens, ce qui, il faut l’avouer, ne se fait pas à Molenbeek.
                26 Ce prix comprend le coût des garages, 490.200 € HTVA
                27 Ces prix comprennent les frais des actes et la TVA de 21 %. Lorsque la TVA sera réduite à 6 %, ces prix seront sensiblement plus bas.

[25]             Alain Hubert, explorateur célèbre des régions polaires à la base du projet de la station antarctique Princesse-Élisabeth, est le parrain de notre projet.